#16 / La dépossession des territoires éducatifs : le cas des partnership schools et la privatisation des secteurs scolaires à Atlanta

Nora Nafaa

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Depuis les années 1980, les États-Unis opèrent de nombreuses réformes de leurs marchés éducatifs, publics et privés (Felouzis et al,. 2013)1. Elles s’ancrent largement dans un processus de néolibéralisation des politiques scolaires qui se définit d’abord par un ensemble de discours et par une rhétorique présente dans l’ensemble de la vie sociale, puis ensuite comme un ensemble de réformes au niveau local et national accentuant la dérégulation des normes, la privatisation des services publics et la délégation de compétences de l’État à des organisations tierces telles que des organisations non-gouvernementales, des associations, des entreprises… (Hackworth, 2007 ; Harvey, 2005 ; Lipman, 2011 ; Nafaa et Giband, 2016). Ce processus a connu une accélération au moment du rapport « Une nation en danger » commandé par le président Ronald Reagan en 1983 et alarmant les citoyennes et citoyens du niveau des élèves du pays au sein de la compétition internationale (Spring, 2008). Ce rapport installe la rhétorique selon laquelle la gestion classique, et publique, des écoles ne permet pas leur compétitivité et que l’ouverture à des actrices et acteurs tiers permettra de la stimuler. Il est alors net que l’éducation participe à la compétitivité des États mais elle est aussi reconnue pour les familles comme un enjeu majeur d’insertion sur le marché de l’emploi.

À l’échelle infra-urbaine, malgré la multiplication d’offres scolaires dérégulées, la sectorisation scolaire suscite de fortes tensions liées à l’attractivité d’une école ou à sa répulsivité (Nafaa, 2016). Les écoles dites les moins performantes ou en échec (« failing schools »), obtenant les résultats les plus faibles aux tests standardisés sont régulièrement menacées d’être prises en charge non plus par le district scolaire local, mais par le département de l’éducation de l’État. Le district scolaire est l’équivalent du rectorat, gouvernement local composé d’un conseil scolaire élu ayant autorité sur un secteur scolaire administré par un superintendant. Dans les grandes villes, à quelques exceptions près, ses limites recouvrent celles de la municipalité. La solution adoptée est leur fermeture ou leur transformation en écoles charter, soit une école publique dont la gestion est déléguée à une organisation privée, à but lucratif ou non, et dont la sélection des élèves se fait généralement par loterie. Certains districts ont choisi d’hybrider cette formule en créant des écoles charter sectorisées, et donc en déléguant la gestion de tout un secteur scolaire sur lequel ne demeure plus d’école publique comme cela a été le cas massivement à Philadelphie ou à La Nouvelle-Orléans (Bulkley, 2007 ; Huff, 2017 ; Saltman, 2007).

L’idée d’une dépossession des territoires éducatifs, définis comme des espaces scolaires faisant l’objet d’actions, de rapports de force politiques mais aussi de représentations, est à explorer au travers de cette forme de privatisation des secteurs scolaires, dans lesquels la seule offre proposée est privée et les élèves comme les familles n’ont plus le choix de l’école publique. Ici, les familles apparaissent comme dépossédées d’un service public classique, une option choisie par les districts scolaires en vue d’éviter la dépossession à une autre échelle de l’école par l’État. Cette question se pose non pas dans les quartiers les plus attractifs, mais les plus répulsifs, marqués par de plus faibles densités en termes de population, mais aussi de services, ainsi que par de la vacance résidentielle. Cette piste de la dépossession, explorée par la littérature radicale des études urbaines nord-américaines est un appareil conceptuel développé dans le contexte étatsunien (Ares et al,. 2017 ; Lipman, 2002 ; Saltman, 2007).

Cet article s’appuie sur une enquête de terrain réalisée dans le cadre d’une recherche doctorale. Plusieurs méthodes qualitatives ont été employées, mêlant des entretiens semi-directifs avec les parents d’élèves, des entretiens libres avec les actrices et acteurs du monde de l’éducation et des séances d’observations dans différents contextes (réunions de quartier, soirées caritatives, commissions sénatoriales, audiences publiques du district scolaire…) à Atlanta entre 2016 et 2017. Un travail de recueil de données et d’archives a accompagné cette enquête, à la fois aux archives du district scolaire mais également en ligne (sites des institutions et organisations concernées). En s’appuyant sur une étude de cas, celles des écoles partnership à Atlanta, l’article proposera d’abord un premier temps de contextualisation de la mise en place de ces écoles. Dans un second temps, il analyse leur établissement, avant d’aborder leur place au sein de projets de territoires urbains. Le choix d’Atlanta permet ainsi un contrepoint à la littérature existante sur les villes en déclin où les fermetures d’écoles et les privatisations se justifient par des arguments de déclin démographique et de décroissance économique, dans une ville cette fois au rayonnement et à l’attractivité à l’échelle nationale (Basu, 2007 ; Giband et Nafaa, 2021).

 

La performance scolaire comme outil de contrôle politique

L’éducation aux États-Unis est avant tout une affaire locale, elle est gérée au niveau des districts bien que régulée par les législations des États. La lutte pour le maintien du contrôle politique des écoles à l’échelon local est récurrente : le contrôle public des écoles est sans cesse remis en cause, à l’appui des résultats aux tests standardisés, véritables outils d’évaluation des performances des élèves, du corps enseignant et des districts scolaires.

 

Compétition, reddition de comptes et perte de contrôle local

La mise en compétition des écoles publiques a facilité l’adoption progressive d’un vocabulaire qui est celui de l’économie de marché, dans laquelle les établissements sont des options d’une offre scolaire concurrentielle, répondant à une demande des familles en tant que consommatrices (Bartlett et al., 2002 ; Cucchiara, 2013 ; Friedman et Friedman, 1990 ; Mathieu, 1997). Elle devient également un objet d’attractivité dans les espaces urbains où la qualité de l’école prend de plus en plus de valeur dans les logiques résidentielles (Billingham, 2013, 2015 ; Lareau et Goyette, 2014). Si le marché éducatif tend à démultiplier et diversifier son offre scolaire (écoles privées/écoles publiques, écoles sectorisées/écoles désectorisées), il devient aussi une réelle aménité au sein des villes et un objet des politiques urbaines.

Progressivement, de nouveaux acteurs et actrices intègrent le monde de l’éducation, à la fois publics qui ne sont pas ceux de l’administration scolaire (municipalités, agences de logement…), mais aussi privés et très diversifiés (fondations, associations, entreprises…). La privatisation, qui participe de la néolibéralisation de l’école, se fait sous deux formes. Elle est d’abord exogène, des acteurs et actrices privés interviennent de plus en plus dans l’éducation publique et les financements trouvent des sources de plus en plus différentes. Elle est aussi endogène, dans le sens où l’éducation publique adopte des normes entrepreneuriales dans la gestion et les politiques scolaires (Giband et al., 2020). La loi fédérale bipartisane « Aucun-enfant-laissé-pour-compte »2 de 2001 marque un tournant majeur en proposant une gestion par l’accountability. Traduite par la responsabilisation ou la « reddition de comptes » par Christian Maroy, cette gestion s’appuie sur les résultats des élèves (Maroy, 2021 ; Spring, 2008). La mise en place systématique de tests standardisés à l’échelle nationale, mais aussi dupliqués dans les États, permet la production de données à petite échelle, mais aussi d’outils de comparaison et de compétition entre les établissements scolaires, et entre les districts scolaires (Au, 2016 ; Cyna, 2020).

Dans les grands districts urbains, la question scolaire devient un réel enjeu politique au XXIe siècle. D’une part, les districts scolaires sont gouvernés par des conseils scolaires (Board of Education) élus dans la majeure partie des cas, et dont les membres représentent des territoires aux problématiques scolaires différentes. D’autre part, les municipalités intègrent de plus en plus l’école dans leurs agendas politiques au travers du soutien à une offre publique compétitive mais aussi de la mise en place de nombreux dispositifs tels que des crèches municipales alors même que l’école primaire ne démarre qu’à cinq ans (Cucchiara, 2013 ; Lipman, 2002). Cependant, dans certains grands districts urbains, ce pouvoir politique scolaire a été confisqué, à l’exemple de Philadelphie en 2001 dont les membres sont nommés par le gouverneur et le maire, ou encore à Chicago ou La Nouvelle-Orléans dont le pouvoir politique a été confisqué suite à des faillites financières (Saltman, 2007 ; Todd-Breland, 2018). Cette première dépossession du contrôle politique local s’est faite au nom de la faillite des districts scolaires ne parvenant plus, selon les comptes, à gérer leurs parcs scolaires et déficits budgétaires en prenant appui sur les résultats aux tests scolaires.

 

Des écoles « défaillantes » menacées par une prise de contrôle étatique

La seconde forme de confiscation du pouvoir politique sur les écoles est à l’échelle étatique. Plusieurs États3 ont fait le choix de créer un district scolaire à l’échelon étatique, géré par leur département de l’éducation dans le but d’administrer certains types d’écoles (écoles spécialisées pour les enfants à besoins particuliers, cyber-écoles) mais aussi graduellement de prendre en charge les écoles des districts locaux pour lesquelles les résultats sont très faibles, considérant alors que ces derniers ne sont pas en mesure d’assurer les moyens de la réussite des élèves (Steiner, 2005 ; Welsh, 2019).

Dans le cas géorgien, le gouverneur républicain a proposé en 2015 à l’Assemblée un premier texte pour la création de l’Opportunity School District (OSD). Les écoles sont sélectionnées selon plusieurs critères dont le premier est qu’elles font partie des 5 % les moins performantes de l’État aux tests standardisés. Il repose essentiellement sur une performance scolaire4, et non sur une évaluation des modes de gouvernance des districts. Près de 20 écoles de l’État sont sur la liste de l’OSD en novembre 2016 lorsque celui-ci est mis au vote et mis en défaite au sein de l’Assemblée Générale de Géorgie5.

La géographie des écoles à Atlanta suit les lignes socio-économiques de la ville (fig.1). Une diagonale nord-ouest/sud-est peut être tracée, plaçant au nord les quartiers aisés et blancs de la ville (notamment Buckhead), et au sud les quartiers afro-américains et pauvres, à l’exception de certains quartiers de classe moyenne ou classes supérieures afro-américaines aux limites municipales sud-ouest (Cascade Heights par exemple). Le long de cette diagonale se trouvent des quartiers en cours de gentrification liés à un réinvestissement des centres dans une ville très peu dense et des aménagements majeurs menés par la ville depuis les Jeux Olympiques de 1996 (Westside, Midtown, Inman Park, Grant Park). Les écoles ciblées par la liste du gouverneur se situent exclusivement au sud de cette diagonale dans les quartiers les plus déshérités (désertification des services publics, taux très élevés de vacance résidentielle, absence d’activités économiques…).

1. Les écoles sur la liste de l’Opportunity School District en 2016-2017 (Nafaa, 2021)

Le projet du gouverneur échoue en 2016 et est présenté à nouveau en 2017 sous une autre forme dont certains amendements sont adoptés. Dans le même temps, le district d’Atlanta connait depuis 2008 des transformations majeures liées dans le contexte scolaire à un scandale de triche ayant amené à licencier de nombreux personnels d’éducation et changé les cadres de l’administration scolaire, mais aussi plus largement aux transformations du marché éducatif urbain et la demande de nouvelles familles pour des écoles publiques plus performantes. La menace de perte de contrôle des écoles les plus faibles mène le district à créer de nouveaux partenariats au travers des écoles partnership.

 

Une privatisation des secteurs scolaires

Pour de nombreux districts scolaires, la solution est la privatisation, bien qu’elle ne soit pas nommée ainsi. Il ne s’agit pas d’une privatisation stricto sensu en transformant les écoles publiques en écoles privées, mais d’une hybridation des deux modèles dont les écoles charter sont l’archétype (Fabricant et Fine, 2012 ; Nafaa et Giband, 2016). Ces écoles à gestion privée et financement public recrutent en majeure partie selon une combinaison de candidatures sur dossier et de loterie, ce qui permet une sélection des élèves et pour certaines d’augmenter les performances affichées (bien que cela ne soit plus les mêmes élèves). Au fil de leur développement, certaines ont développé des logiques géographiques dans leur recrutement, privilégiant des zonages préférentiels, notamment dans les quartiers en cours de gentrification (Hankins, 2005). Un dernier modèle, adopté dans les quartiers les plus déshérités et encouragé par le district scolaire est celui des écoles charter sectorisées, remplaçant l’école publique du quartier.

Les écoles partnership, substituts aux « pires » écoles de la ville

Au-delà des projets de fermetures ou de fusion d’écoles, pour qu’elles n’apparaissent plus sur la liste de l’OSD, le conseil scolaire d’Atlanta a adopté un nouveau modèle d’écoles charter confiées à des organisations déjà présentes sur le territoire du district mais contraintes cette fois à la sectorisation publique sur le modèle des Renaissance Schools à Philadelphie (Bulkley et al,. 2004 ; Gill et al., 2007). Il s’agit de confier une école publique et son secteur à un acteur tiers qui ne peut scolariser que des enfants du secteur. Les parents quant à eux peuvent toujours choisir de demander une dérogation pour scolariser leur enfant dans une autre école (la configuration de la carte scolaire cependant ne donne comme choix que des écoles éloignées, sans transport scolaire). Le district scolaire a par ailleurs choisi d’organiser les écoles en cluster (une sectorisation scolaire sous forme de grappes, dont les écoles élémentaires se rapportent à l’adresse des élèves mais les établissements secondaires relèvent d’une sectorisation par établissement (dépendance des écoles primaires à un collège puis un lycée unique). Il y a 9 clusters dans la ville, dépendant des 9 lycées publics (fig. 2).

2. Le cluster du lycée Carver, laboratoire de la privatisation par secteurs scolaires (Nafaa, 2021)

Deux organisations ont été sélectionnées à Atlanta. La première, The Kindezi Schools, a été créée en 2010 et s’identifie comme une organisation à but non-lucratif dont la pédagogie dit préférer une approche holistique, prenant en compte tous les aspects de la vie des enfants. Le groupe gère deux écoles charter classiques, l’une à l’extrémité ouest du district (Kindezi West End), la seconde dans le quartier Old Forth Ward en cours de gentrification (Kindezi Old Fort Ward), toutes deux occupant les locaux d’anciennes écoles de quartier fermées par manque d’effectifs. En 2016, The Kindezi Schools accepte d’opérer une troisième école sur le modèle partnership dans la partie sud-est de la ville dans le cluster du lycée Carver6, Giddeons Elementary School (fig. 2).

La seconde organisation, Purpose Built Schools (PBS), opère à Atlanta l’école Drew Charter Schools depuis 2000. Cette première école est créée par la fondation Purpose Built Communities (PBC) avant même la création de PBS en 2002. Elle est régulièrement classée comme école la plus performante de Géorgie. Située dans le quartier d’East Lake à Atlanta, elle est l’expérience locale qui sert de modèle. Les logements sociaux y sont démolis au début des années 2000 par le groupe PBC qui entreprend la construction de logements assurant une mixité (de revenus et de types de locations), ainsi que de commerces et d’une école charter. Cette expérience a été vivement critiquée et relève d’un processus de gentrification : les anciens résidents ont été délogés et remplacés par des ménages plus aisés (Boston, 2005 ; Slyke et Newman, 2006). Le district scolaire a proposé à PBS d’opérer de nouvelles écoles élémentaires dans le cluster du lycée Carver où se situent les écoles les moins performantes de la ville (fig. 2). PBS a accepté sous réserve de gérer également le collège et une partie du lycée, la moins performante. La majeure partie du cluster aujourd’hui est ainsi opérée par ces organisations privées, sans qu’un choix d’écoles entièrement publiques ne soit plus disponible dans cette partie de la ville.

 

De l’école au centre socio-éducatif

Une enquête plus resserrée7 sur l’école Thomasville Heights Elementary School, classée comme l’école la moins performante de tout l’État de Géorgie en 2016 mais aussi l’une des plus pauvres8, et première école partnership d’Atlanta, permet de mettre en lumière le fonctionnement de ces écoles. La particularité de Thomasville Heights tient donc dans son statut d’école partnership, qui garantit des fonds publics à l’école, mais délègue ou sous-traite la responsabilité de sa gestion à une organisation tierce. Ce partenariat permet l’apport de davantage de ressources à l’école, mais également une gestion plus libre, et affranchit de certaines régulations du district9.

PBS a fait appel à un certain nombre d’organisations afin de fournir plusieurs services au sein de l’école, scolaires et parascolaires. Au départ, six organisations sont présentes en permanence, essentiellement pour des services parascolaires (éducation à la parentalité, défense légale, services thérapeutiques…), et sollicitées par PBS10. Alors que le groupe a augmenté le nombre d’écoles qu’il gère au sein du district, plusieurs autres organisations participent aujourd’hui à l’école : 28 partenaires et programmes sont dénombrés au sein de l’école. Seuls 2 relèvent d’institutions publiques : le service des bibliothèques du comté et le musée des droits civiques d’Atlanta. Les champs sont variés : 3 concernent directement l’éducation, 14 relèvent de l’accompagnement – des parents et des élèves à plusieurs niveaux, 3 participent à la formation des enseignantes et enseignants, 8 délivrent des services de santé et le dernier produit un service de soutien légal et d’aide juridique aux familles. Les organisations sont à la fois à portée nationale (Teach For America, Girls Scouts, Chris 180), mais aussi locales (Atlanta Community Food Bank, Atlanta Volunteer Lawyers Foundation). Plusieurs universités contribuent aux programmes d’accompagnement des élèves, notamment par le tutorat, tout comme certaines écoles privées de la ville (Paideia School, The Schenk School). Cette profusion de services et d’organisations privés au sein de l’école s’explique par son statut : PBS a les ressources et les réseaux permettant à la fois de mobiliser ces partenaires, mais aussi de coordonner ces services. Ils ne reposent pas sur le chef d’établissement, mais sur un coordinateur interne à PBS dit « Community Quaterback ». Le second point à lire dans cette variété de services est qu’ils s’adressent directement aux besoins de la communauté du secteur scolaire. Il s’agit en partie de services liés à des besoins premiers, et aux situations de vulnérabilité du territoire. L’école devient un centre social et un lieu de ressource pour des populations vulnérables, dans un territoire où ces services ont disparu. Le peu de résistance face à cette forme de privatisation s’explique par l’apport de nouveaux services : cette prise de contrôle par un acteur privé n’est pas perçue comme une dépossession par les familles. Au contraire, le passage du contrôle public au contrôle privé de l’école, bien qu’il signifie une plus grande opacité et liberté vis-à-vis des régulations, est perçue comme une nouvelle aménité dans le quartier. Étant donné que le service public n’était plus très développé, le sentiment de dépossession, de se voir retirer un service, un bien, n’est pas ressenti. Ici se lit toute l’ambivalence de la néolibéralisation.

 

Une stratégie territoriale par l’éducation ?

Bien que Purpose Built Schools se prémunisse de se définir comme une organisation de rédeveloppement ou de revitalisation urbaine comme Purpose Built Communities, PBS met tout de même au cœur de son discours l’école comme le point d’achoppement dans les quartiers les plus déshérités et fait de l’offre scolaire de qualité un outil du redéveloppement local.

 

Une stratégie de développement de PBS à l’échelle nationale

De nombreux projets de renouvellement urbain prennent appui sur l’éducation en tant qu’aménité et outil d’attractivité de nouvelles populations, à l’exemple des projets de grandes universités ou hôpitaux comme cela a été montré à New York, Philadelphie ou Baltimore (Baffico, 2017 ; Nafaa, 2016 ; Recoquillon, 2010). Le cas d’une fondation telle que PBC n’est pas unique mais permet de mettre en avant les stratégies de redéveloppement immobilier, puisque l’organisation a été créée par trois des plus grands développeurs immobiliers du pays, dont Tom Cousins originaire d’Atlanta. Aujourd’hui, hormis le cas de PBS que la fondation PBC ne présente pas directement sur son site comme appartenant à son réseau, 25 organisations ont rejoint son réseau à travers la moitié orientale du pays (fig. 3).

3. Les projets du réseau Purpose Built Communities en 2021 (Nafaa, 2021)

Ils sont présents dans 15 États, au Nord comme au Sud, mais absents des grandes métropoles du Nord (New York, Philadelphie, Boston, Chicago, Détroit…) où nombre de projets comme ceux présentés existent mais sous d’autres modalités. Le réseau s’appuie à chaque fois sur un partenariat avec une organisation pilote, dédiée à un quartier. Quelques partenariats sont bâtis avec des organisations précédant l’arrivée de PBC, à l’exemple de Focused Strategies Community à Atlanta fondée en 1978 ou Renaissance West Community Iniative à Charlotte en Caroline du Nord plus récemment en 2010. L’étude des sites internet des organisations ainsi que de la presse permet de mettre en avant quelques tendances et de distinguer les catégories de partenariats. D’abord, PBC est partenaire d’organisations déjà présentes depuis longtemps, correspondant à des organisations communautaires de quartier. Plus récemment, ces organisations ont soit été transformées, soit intégrées à des projets de redéveloppement urbain associant d’autres actrices et acteurs (municipalités, développeurs immobiliers, fondations philanthropiques). Ensuite, la seconde catégorie de partenariats concerne des organisations plus récentes, souvent choisies à la suite d’un appel à projet de PBC dans le cadre du redéveloppement de quartiers urbains défavorisés. Il s’agit principalement des partenariats développés à partir de 2015.

 

L’école, porte d’entrée dans les quartiers

Le caractère novateur de ces projets repose sur la place donnée à l’école, et plus largement l’éducation, au sein du système. Elle est conçue comme une porte d’entrée dans les quartiers pour ces actrices et acteurs privés. Le directeur général de PBS souligne que le territoire visé par PBS n’est pas seulement celui du secteur scolaire de Thomasville Heights, et que l’échelle d’action est celle du cluster. Il s’agit de « contrôler » les écoles du cluster, et la trajectoire de l’ensemble des élèves qui y sont scolarisés. S’il revient sur l’usage du mot « controlled » qu’il a employé et qui pour lui n’est pas tout à fait satisfaisant, pour finalement lui préférer « operate », que l’on peut traduire par « administrer », l’enjeu demeure bien l’image du « pipeline » qu’il mobilise. Ce contrôle prend justement partie de la sectorisation, seuls les élèves des quartiers concernés bénéficieront de ces services mais aussi en l’absence d’autres réelles options scolaires dans cette partie de la ville. L’enjeu du turnover des élèves dans le quartier est majeur. Ici, l’école, par la maitrise de son territoire scolaire, et plus largement éducatif étant donné la panoplie de services offerts, devient un outil de revitalisation du territoire urbain. Proposer ces services est perçu comme un outil de rétention de la population dans le territoire, à l’inverse de la situation rencontrée dans la première expérience à East Atlanta, prenant davantage appui sur la revitalisation immobilière ayant entrainé une gentrification du quartier.

Cette conception du territoire éducatif appartient à un modèle « holistique » et comprend différentes dimensions d’action au sein du quartier, parmi lesquelles l’éducation, le logement et le bien-être. Il s’agit dans ce modèle d’agir sur ces trois composantes de la vie des enfants – et des familles, et non seulement sur l’école. Ces trois dimensions prennent un format défini par PBC qui se retrouvent sur les sites des organisations partenaires inspiré du modèle d’East Lake à Atlanta (fig. 4). La symbolique du puzzle ou celle de cercles superposés rend compte de la composition de cette approche, dont les différents éléments dépendent les uns des autres. L’éducation se fait sous la forme d’un « pipeline », comme dans le quartier Thomasville Heights : l’enjeu est de contrôler l’éducation des enfants du quartier du début jusqu’à la fin de leur scolarité. La logique de la dépossession se fait ainsi sur l’ensemble du circuit scolaire. Plusieurs infrastructures sont mises à disposition et la solution la plus fréquente choisie est l’école charter, après la création d’une crèche privée (fig. 3). 10 projets sur 25 affichent une école charter11. À ces premières infrastructures s’ajoutent des réseaux de soutien scolaire, prenant appui sur des associations, dans les écoles publiques jusqu’au lycée. Le redéveloppement du quartier passe par la mise en place de ces infrastructures éducatives, ici privées12.

4. Schémas de quatre organisations du réseau Purpose Built Communities

Ces projets sont contestés à plusieurs reprises dans leur développement au sein des quartiers. Le modèle se voulant inclusif et intégrant des habitantes et habitants du quartier, des réunions sont organisées en amont. Les temporalités du projet sont rythmées par les trois piliers évoqués précédemment. La dimension résidentielle est la plus visible car elle correspond pour une majorité des projets les plus récents à l’acquisition d’un terrain par un développeur immobilier, dans un quartier où se situent déjà des logements sociaux. Il ne s’agit donc pas de construire de nouveaux logements sociaux, mais de diversifier le parc immobilier. Ces quartiers ne se situant pas sur le front de gentrification, mais plutôt dans des quartiers déshérités, il est difficile aujourd’hui d’observer les effets de ces projets. La seconde temporalité, qui est celle pouvant mener à des résistances au sein des quartiers, est celle du projet éducatif. Plusieurs de ces quartiers ont des écoles publiques dont les performances sont très basses, et sur les listes des écoles à fermer, car en sous-effectifs. Le partenariat avec les districts scolaires permet à ces fondations de proposer de reprendre ces écoles publiques. Cette reprise se fait par le biais de partenariats portant à découvert ou non le nom d’écoles charter. Il ne s’agit plus seulement de remplacer une école publique par une école charter, mais de remplacer toutes les infrastructures d’un quartier.

 

Conclusion

Le cas des partnership schools, un dispositif hybride entre écoles publiques et organisations privées, permet ainsi de mettre en lumière plusieurs éléments sur les relations entre l’école et la ville au sein de transformations contemporaines majeures. La marchandisation de l’éducation, au sens de la mise en place de marchés éducatifs, et sa néolibéralisation ont accéléré des modes de gestion ayant à cœur à la fois l’efficacité comptable (effectifs, performances scolaires) mais également la maitrise du contrôle des écoles. L’usage des redditions de comptes pour moduler ce contrôle a entrainé la création de dispositifs donnant à lire plusieurs éléments. D’abord, les districts scolaires administrent leurs parcs scolaires en fonction de ces comptes : les solutions adoptées correspondent aux indicateurs. Ensuite, ces dispositifs hybrides indiquent que les districts scolaires confient les écoles les moins performantes à des organisations privées, ce qui dans leur discours se justifie à la fois par la volonté de les « sortir » de la liste des gouverneurs en n’étant plus des écoles publiques classiques directement gérées par les districts, mais aussi par l’idée que pour ces élèves, et leurs communautés, il est nécessaire de proposer une offre différente, alternative, avouant à demi-mot que l’école publique classique n’est pas en mesure d’assurer l’éducation de ces élèves.

La multiplication des dispositifs, mais aussi la diffusion de ces modèles comme le montre le cas de la fondation Purpose Built Communities, indique que la situation à Atlanta peut se retrouver dans d’autres terrains urbains, au sein de quartiers dont le profil est proche de celui du cluster de Carver. Si quelques résistances ont eu lieu au début à Atlanta, de peur de voir se répliquer le modèle de la gentrification d’East Lake, finalement elles ont été vite atténuées pour plusieurs raisons. L’enquête de terrain, ainsi que la presse consultée concernant les 24 autres projets de PBC, montrent qu’elles sont temporaires et ne lèvent pas des effectifs conséquents. En effet, ces quartiers manquant de toutes les aménités proposées par les fondations et développeurs immobiliers, accueillent ces projets positivement. Les organisations mettent en place des cycles de réunions et d’ateliers participatifs au sein des communautés du quartier afin d’assurer leur soutien. Il existe ainsi des craintes face à la fermeture des écoles publiques mais le remplacement immédiat par une école charter et l’ouverture d’une crèche privée ne permettent pas d’envisager une friche ou l’absence d’un service. Par ailleurs, les organisations, appuyées par PBC, prennent soin de prévenir les résistances en mentionnant la gentrification. Sur les sites des organisations, les projets évoquent ce processus et expliquent que la présence d’infrastructures publiques et de logements mixtes permet de lutter contre ce processus.

D’abord, ces projets fonctionnent sur le principe du « fait accompli ». La fermeture de l’école publique est actée ainsi que l’ouverture d’une école charter. Ensuite, ils proposent aux territoires de nouvelles aménités, même de première nécessité, qui n’existaient plus : il s’agit donc d’une privatisation du service scolaire, mais aussi de la mise à disposition de services nouveaux. Ce type de projet participe bien d’une privatisation des territoires scolaires, en ce qu’une part conséquente de la ville est franchisée par le district public à une organisation privée. Ici l’école n’est pas seulement une aménité parmi d’autres, mais le service et le lieu de l’éducation sont au cœur du territoire et de son redéveloppement, effectués par des organisations privées. Cette privatisation est perçue comme une dépossession dans la littérature scientifique, et représente en un sens un accaparement par le secteur privé de ressources scolaires. Cantonné au départ à des villes en faillite ou des villes de premier rang, ce processus se généralise dans de nombreuses villes dont les écoles plus faibles et celles destinées aux enfants à besoins particuliers sont confiées à ces organisations. Atlanta, ville de second rang, en croissance, permet de mettre en avant ce processus loin des villes exceptionnelles et médiatisées telles que New York, Los Angeles ou Chicago.

NORA NAFAA

 

Nora Nafaa est docteure de l’université de Perpignan Via Domitia et rattachée au laboratoire ART-Dev UMR 5281. Ses travaux portent sur la recomposition des territoires scolaires à travers la néolibéralisation des gouvernements urbains introduisant un nouvel ordre métropolitain. Le positionnement scientifique est celui de la géographie sociale, inspirée des études radicales états-uniennes, ancrée dans des études de terrain (Philadelphie et Atlanta).

nora.nafaa@univ-perp.fr

Couverture : Fresque murale de l’école Kindezi à Atlanta (Nafaa, 2016).

 

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Pour citer cet article : Nafaa N., 2022, « La dépossession des territoires éducatifs : le cas des partnership schools et la privatisation des secteurs scolaires à Atlanta », Urbanités, #16 / À l’école de la ville, septembre 2022, en ligne.

  1. L’emprunt du terme de « marché » à l’économie est aujourd’hui de plus en plus répandu dans la littérature scientifique sur les systèmes scolaires. Utilisé souvent au pluriel pour désigner une variété de configurations, il rend compte des dynamiques liées à l’offre et à la demande éducative, en tenant compte du fait que l’éducation obligatoire soit gratuite dans la quasi-totalité des États. Le terme de « marché scolaire » ou de « marché éducatif » rend compte surtout des concurrences éducatives liées à « la recherche de la meilleure qualité éducative possible ainsi que, pour les catégories supérieures plus particulièrement, celle de la reproduction de leur statut social » (Felouzis et al., 2013 : 4). []
  2. No Child Left Behind Act, 2001. Portée par l’administration Bush, et votée par les deux partis au Congrès, elle impose la systématisation des tests standardisés dans le pays et indexe les aides de programmes fédéraux à la mise en place de ces tests pas les États et à leurs résultats. []
  3. Par ordre chronologique, voici les États ayant adopté ce système : Louisiane, Michigan, Nevada, Tennessee, Arkansas, Caroline du Nord, Virginie et Ohio. D’autres districts scolaires étatiques sont en cours de création d’un tel système : Géorgie, Mississippi, Pennsylvanie, Texas, Utah et Wisconsin. Le premier dispositif est celui du Recovery School District (RSD) en Louisiane en 2003, accéléré après l’ouragan Katrina, et ayant pris le contrôle des écoles de La Nouvelle-Orléans, Parish et l’Est de Bâton-Rouge. []
  4. Les indicateurs employés sont principalement les résultats aux tests standardisés des élèves en anglais, mathématiques et sciences. []
  5. Le projet en l’état a été abandonné, et représenté les années suivantes sous la forme de programmes plus restreints ne visant pas les grandes aires urbaines. []
  6. Plusieurs transformations ont été opérées dans le lycée. En 2003-2005, alors que le lycée est classé parmi les moins performants de l’État, et menacé de fermeture, le district choisit de rénover le lycée et de le diviser en quatre écoles qui partageront un seul et même campus, appelé « les nouvelles écoles à Carver » (The New Schools at Carver) répartissant plusieurs champs : une école de préparation à l’université (Early College), une école technologique (Technology), une école sur les arts (Performing Arts) et une école sur la recherche et les sciences de la santé (Health Science and Research). Chaque école est très marquée socialement, et les cohortes d’élèves se distinguent. Les différents entretiens réalisés dans le secteur avec des enseignantes et enseignants, des militantes et militants, des parents, notent cette différenciation sans forcément en expliquer tous les facteurs. Lors de la prise de fonction d’un superintendant par intérim au moment d’un scandale de triche, ce dernier décide de réorganiser l’établissement, désormais divisé en seulement deux écoles, en joignant à chaque fois l’équivalent d’une filière générale et une autre davantage professionnalisante, l’une compensant les résultats de l’autre aux tests standardisés. []
  7. Plusieurs entretiens ont été réalisés au sein de l’école mais également dans le quartier, de manière plus informelle avec les habitantes et habitants lors de visite d’élus ou de réunions de quartier. []
  8. L’école a été construite en 1970 pour scolariser les enfants des nouveaux logements sociaux (Thomasville Heights Projects). Initialement destinés aux familles aux revenus modestes, ces logements sociaux sont progressivement destinés aux familles urbaines les plus pauvres (Vale, 2013). En 1973, un second ensemble de logements sociaux est construit à proximité de l’école, Forest Cove Apartments. Thomasville Heights Projects est le dernier grand ensemble d’Atlanta de logement social détruit, en 2010. Le terrain demeure une friche aujourd’hui et la municipalité a présenté cette démolition comme mineure car remplacée par l’obtention du programme Section 8 par Forest Cove Apartments (Williams, 2010). Le secteur est délimité par une voie ferrée au sud, une avenue à plusieurs voies à l’est, un boulevard au nord et la moitié ouest du secteur scolaire est occupée par le centre pénitencier fédéral d’Atlanta. Le Sud-Est de la ville est aujourd’hui la partie la plus pauvre d’Atlanta et détient les taux de vacance résidentielle les plus élevés. []
  9. L’administration et la gestion de l’école sont prises en charge par PBS qui est dirigé par une équipe de direction, composée d’un directeur de l’engagement communautaire (« community quaterback »), un directeur des écoles, ainsi qu’un CEO (directeur général). Greg Giornelli assure cette fonction. Il siège également au conseil d’administration de PBS, composé de trois autres membres : Cheryl Lomax, qui le préside – vice-présidente senior de Bank of America, Shirley Franklin – première maire femme et afro-américaine d’Atlanta (2002-2009), et Ingrid Saunders Jones – ancienne vice-présidente senior de Coca-Cola. Ces trois femmes siègent au conseil d’administration de nombreuses organisations, tant locales que nationales. Greg Giornelli fait le lien avec les autres acteurs. Gendre de Tom Cousins, il participe aux opérations de ce dernier. Promoteur et investisseur immobilier originaire d’Atlanta, ce dernier en 1995 fonde la East Lake Foundation, dans le but de lancer la revitalisation du quartier East Lake, en partenariat avec la Atlanta Housing Authority (AHA). Greg Giornelli est nommé alors CEO de la fondation et participe à la création de Drew Charter School. En 2004, il est appelé à la tête de la Atlanta Development Authority par Shirley Franklin et crée en 2009 Purpose Built Communities (PBC), dont il devient CEO également. []
  10. Ces éléments ont été communiqués par Greg Giornelli, CEO (directeur général) de Purpose Built Schools lors d’un entretien réalisé le 24.01.2017. []
  11. Pour certains, il est impossible de déterminer si le partenariat avec une école publique relève de cette catégorie car il n’est pas détaillé en ligne et nécessiterait une enquête de terrain plus fine. []
  12. La seconde dimension est celle du bien-être, au travers de la réhabilitation d’espaces verts ou de la construction d’espaces de soins au sein des quartiers. La troisième dimension est celle du logement, au travers de résidences mixtes : logement social, locations du secteur privé et accession à la propriété privée. C’est sur ce modèle qu’a été redéveloppé East Lake à Atlanta, ayant entrainé une profonde gentrification de ce secteur de la ville et l’éviction de nombreux foyers. []

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