Appel à contributions #19 / Urbanités événementielles

L’appel à contributions #19 au format PDF


Introduction

Saisir la ville au rythme de ses événements

Lors des confinements liés à la pandémie de Covid-19, l’annulation de nombreux festivals, festivités ou compétitions sportives a révélé à quel point ceux-ci rythmaient la vie sociale et économique des villes. Plus récemment, dans le contexte de la mobilisation contre la réforme des retraites en France, les menaces de perturber le déroulement des Jeux Olympiques de 2024 à Paris se sont multipliées ; faisant ainsi des événements un potentiel levier de négociation politique. Ces manifestations sont en effet devenues une pierre angulaire des politiques urbaines, destinées à renforcer les secteurs porteurs de croissance (notamment le tourisme), et à apporter des retombées positives en termes d’images. Ce rôle persistant des événements en ville renforce des constats formulés depuis plusieurs décennies dans la recherche universitaire : depuis les années 1990, les études ont montré comment le nombre de ces événements était allé croissant, transformant en un mouvement durable ce qui était au départ perçu comme une simple « festivalomanie » (Boogarts, 1993). En parallèle de cette augmentation quantitative, ceux-ci ont acquis une place de plus en plus centrale dans les stratégies de développement urbain, et les autorités urbaines se sont mises à y recourir pour affirmer la place de leur territoire dans la mondialisation. Ainsi, l’accueil de grands évènements itinérants (COP26 à Glasgow, Coupe du monde de football) ou la pérennisation de fêtes et festivals organisés de manière récurrente (festivals de musique ou de cinéma, par exemple) est aujourd’hui un objectif majeur des politiques urbaines et parfois nationales, afin de peser dans le jeu de la concurrence entre les territoires métropolitains.

Dans les recherches francophones puis anglophones, ces enjeux ont été abordés par le biais d’une diversité de notions (ville festive, ville événementielle) et de processus (festivalisation, eventalisation ou eventification des espaces urbains) (Richards et Palmer, 2004 ; Chaudoir, 2007 ; Gravari-Barbas, 2009 ; Smith, 2016 ; Gold et Gold, 2020…). Inscrites dans des disciplines ou champs thématiques divers (géographie, urbanisme, tourism ou event studies…), ces études n’ont pas toujours adopté le même angle d’approche, donnant à voir quatre grandes traditions de recherche. Les événements urbains ont d’abord été observés dans le cadre de travaux menés en géographie sur les fêtes et les festivités en ville : ayant émergé très tôt dans le monde francophone, dans le sillage des géographies sociales et culturelles (Brennetot, 2004 ; Di Méo, 2005), cet intérêt pour la fête et les festivités s’est renouvelé plus récemment dans le cadre de réflexions autour de la nuit et des activités nocturnes ou, plus largement, des rythmes urbains (Bonte, 2017 ; Giordano et Ong 2017). Une deuxième tradition de recherches émane des études sur le tourisme : portant au départ surtout sur les événements sportifs internationaux souvent situés dans les grandes métropoles (Jeux Olympiques, Coupes du monde), ces travaux se sont progressivement ouverts à une diversité de manifestations, incluant également des festivals de plus petite dimension, structurés autour de pratiques et productions culturelles diverses (Quinn, 2009). Un troisième ensemble de recherches est issu des études urbaines et de l’urbanisme (Chaudoir, 2007) : dans ce champ d’étude, c’est la montée en puissance de la ville événementielle comme nouveau référentiel du développement urbain, dans la continuité des discussions autour de la ville créative, qui explique l’émergence de ces travaux. Les études sur les événements accompagnent en cela un intérêt grandissant en urbanisme pour les pratiques artistiques et culturelles en ville (Vivant, 2009 ; Ambrosino et Guillon, 2014). Dans une perspective plus critique, des travaux plus récents examinent les héritages sociaux et culturels, matériels et immatériels des événements, étudiant les processus d’exclusion ou de renforcement des inégalités, que l’événement, certes temporaire, inscrit durablement et d’une manière nouvelle dans la ville (Spracklen et Lamond, 2016 ; Lamond et Platt, 2016).

Ce que l’événement fait à la ville

En proposant d’observer les villes depuis les événements qui s’y préparent et s’y déroulent, les rédacteur·rices souhaitent inscrire ce numéro dans l’actualité métropolitaine, mais aussi francilienne. Les travaux, publications et actions des chercheur·ses et des collectifs1 au sujet des Jeux Olympiques 2024 à Paris posent en effet les jalons d’un regard renouvelé sur l’évènement et ses héritages, en termes économiques, sécuritaires, et en termes de justice sociale et environnementale (Gintrac et Kloeckner, 2019 ; Picaud, 2021). Au sein de la revue Urbanités, plusieurs articles ont déjà pu se faire l’écho de ces débats (Barandier, 2014 ; Jeannier, 2014 ; Dorignon, 2014 ; Sallenave, 2017 ; Bonte et Duc, 2020) sans qu’un numéro ait été explicitement dédié aux événements. Cette publication sur l’urbanité événementielle, qui élargit le propos à une vaste panoplie d’évènements dont l’ampleur, la fréquence et la renommée varient, se donne pour objectif d’examiner ce que l’événement fait à la ville. Au-delà d’un « agenda positiviste » (Robertson et al., 2018) qui tend à considérer tout événement en ville comme nécessairement bénéfique pour cette dernière, le premier enjeu consiste à interroger la dimension économique de ces événements. L’argument des retombées positives sur les économies urbaines, qui justifie souvent des aménagements et investissements conséquents – y compris au détriment d’autres secteurs de la vie en ville – pose la question de la redistribution des bénéfices : à quel·les citadin·es profitent vraiment ces événements ?

Au centre des enjeux figure aussi l’inscription spatiale de ces manifestations et leur empreinte sur la matérialité urbaine : quelles traces laissent-elles dans la ville ? Si elles investissent souvent les lieux et infrastructures existantes, comme les parcs d’expositions, les stades, les espaces publics en les détournant de leurs usages habituels, la planification en amont de méga-événements d’envergure internationale, occasionne le lancement ou l’accélération de grands chantiers, qu’il s’agisse de renouvellement urbain, ou d’infrastructures de transport. Les opérations de construction en cours font souvent l’objet de contestations, tandis que les événements passés sont inscrits dans le tissu urbain et normalisés : c’est le cas des aménagements effectués autour de la Porte Dorée et du bois de Vincennes, à l’occasion de l’exposition coloniale de 1931. À l’inverse, de nombreux équipements ou zones bâties ad hoc sont laissées à l’abandon, témoignant d’une urbanité événementielle à l’obsolescence programmée.

Le numéro entend également interroger les rapports sociaux et les hiérarchies que les événements peuvent bousculer ou renforcer : peut-on parler d’une cohésion sociale plus importante au cours des événements, supposés provoquer la rencontre ? De par leur caractère circonscrit dans l’espace et dans le temps, certains moment festifs permettent une plus grande visibilité des populations stigmatisées, comme au cours des prides ou de certains carnavals. Quelle est la portée sociale et politique des événements, en termes de mise en visibilité et d’inclusivité ? À l’inverse, quelles stratégies d’invisibilisation, de mise à l’écart des populations indésirables sont mises en œuvre, afin de produire l’image d’une ville apaisée, voire aseptisée? Comment s’accommoder alors de dispositifs sécuritaires de plus en plus importants, dans lesquels les processus d’exclusion (par le genre, la race, la classe sociale, l’âge…) jouent souvent à plein ? Si les moments festifs peuvent être l’occasion d’assouplissements des normes, il reste qu’ils sont organisés et gérés par un secteur d’activité très segmenté. Des élites urbaines hypermobiles aux ouvriers en situation migratoire travaillant sur les chantiers, quelles hiérarchies d’un travail mondialisé les événements donnent à voir ?

Enfin, les questions environnementales sont certes la raison d’être de certains événements internationaux, à l’instar des COP, mais l’empreinte écologique des événements est de plus en plus décriée. Des déchets plastiques accumulés aux émissions de CO2 générées par les déplacements des participants, de la construction de nouvelles installations énergivores à la dégradation des espaces verts ou cultivés, quelles sont les conséquences environnementales des événements et comment les évaluer ? Peut-on imaginer une urbanité événementielle qui soit plus durable ?

À travers la question des événements, ce numéro se propose donc de mettre l’accent sur des manifestations qui rythment le calendrier de nombreuses villes dans le monde. S’il exclura les temps les plus habituels de la festivité en ville (comme ceux qui rythment habituellement la vie nocturne), ce numéro souhaite rassembler des contributions relatives à tout type d’événement durant lequel la ville sort de sa temporalité quotidienne. Les articles proposés pourront donc porter sur des manifestations diverses dans leur ampleur (des méga-événements de renommée mondiale aux fêtes et festivités à rayonnement local), dans leur thématique (événements culturels, sportifs, carnavals, prides, braderies…) et dans leur localisation (dans les pays des « Nords » comme des « Suds », dans les grandes métropoles comme les villes petites et moyennes). De même, différentes échelles de temps pourront être envisagées, en proposant d’analyser les processus de « mise en événement » d’une ville (candidatures et enjeux géopolitiques qui lui sont liés, planification, aménagement), le « moment événementiel », ou les héritages sociaux, spatiaux et économiques des événements. Partant de ces différentes approches questionnant la place de l’événement en ville, trois axes de réflexion peuvent être tracés (les contributions pourront s’inscrire dans un ou plusieurs axes).

Événements et production institutionnelle de la ville

Dans la continuité du paradigme de la « ville créative », les événements sont devenus ces dernières décennies un nouveau credo de la fabrique des espaces urbains dans un contexte néolibéral. Dans de nombreuses villes du monde, ils ont été présentés par les autorités urbaines comme une ressource particulièrement utile dans un contexte de compétition interurbaine : ces discours concernent tant l’accueil de méga-événements, perçus comme un moyen de faire rayonner la ville à l’échelle internationale, que l’organisation de festivals ou festivités de plus petite ampleur, envisagés comme une manière de créer une atmosphère conviviale, susceptible d’attirer de nouveaux investisseurs, touristes, ou habitant·es (Gomes, 2020). Si ce rôle des événements dans l’animation des espaces urbains n’est pas nouveau (McGillivray et al., 2022), il est renforcé depuis quelques décennies par leur médiatisation accrue, qui en font un moyen de projeter une image de la ville aux yeux du monde (McGillivray, 2019).

Dès lors, dans le discours de nombreux acteurs de la production institutionnelle de la ville, les événements sont parés de multiples atouts. Bien souvent, ceux-ci sont envisagés sous un angle économique : dans un contexte de crise des investissements publics, ces manifestations seraient notamment un moyen d’attirer de nouvelles ressources (en particulier celles du secteur privé), et de stimuler les politiques de développement urbain en les structurant autour d’un projet commun. De fait, il semble que les événements aient joué un rôle particulièrement important dans la régénération de villes restées à la marge dans certains grands cycles économiques : c’est le cas, dans les pays des Nords, de villes confrontées à la désindustrialisation (Bilbao, Glasgow, Liverpool, Lille…) mais aussi, dans les pays des Suds, de celles qui tentent de se faire une place dans la mondialisation (Johannesburg ou Bakou par exemple) (Gogishvili, 2018).

Cependant, ce recours systématique aux événements pour résoudre les problèmes rencontrés par les villes pose un certain nombre de questions : n’y a-t-il pas un risque que les événements correspondent à une simple « rustine » (quick fix) (Quinn, 2005), qui évite d’aborder les causes des problèmes économiques rencontrés par les villes ? De plus, si l’élaboration d’une stratégie centrée sur l’accueil ou l’organisation d’événements correspond à une démarche moins coûteuse que la mise en place d’aménagements pérennes, ne risque-t-elle pas aussi d’avoir une portée limitée, dans le temps et dans l’espace ? Ainsi, aborder le rôle joué par les événements dans la production institutionnelle de la ville peut amener à se poser la question des conséquences de ces événements à long terme sur la structure économique de ces espaces, au-delà des seules politiques de marketing.

Cette question a déjà largement été traitée dans le cas des grands événements, comme les Jeux Olympiques (Collinet et Schut, 2020) ou d’autres compétitions sportives (Jeannier, 2014), mais qu’en est-il des festivals organisés de manière régulière ? Si, à Angoulême, le festival de la bande dessinée a été un point de départ dans la mise en place de toute une filière dédiée à l’image dans la ville (Gravari-Barbas et Veschambre, 2005), des cas d’étude pris dans différents types de localités (des métropoles aux petites villes) donnent-ils toujours à voir la même contribution durable au développement territorial urbain ? Ce questionnement invite à réévaluer le lien de causalité entre organisation d’événements et croissance économique : quel rôle jouent ces manifestations dans des villes qui connaissent plutôt une trajectoire descendante ? À l’inverse, certains événements et festivals peuvent-ils contribuer à donner une image négative à certains territoires urbains, ou à leur mode de gouvernance ?

1. Le Green Point Stadium du Cap, construit pour la Coupe du monde de football de 2010 (Marine Duc, 2019)

La question se pose d’autant plus que, dans la recherche universitaire, de nombreux travaux se demandent si l’utilisation des événements dans un seul objectif de croissance économique ne se fait pas au détriment d’autres enjeux (Finkel et Platt, 2020). Ainsi, dans les dernières décennies, la mise en place de ces politiques à Glasgow s’est faite dans une ville où les inégalités sociales se sont creusées : l’accueil de nombreuses manifestations de grande ampleur a bien participé à transformer l’image de la ville et à régénérer son économie, mais ce dynamisme semble avoir bénéficié avant tout à de nouvelles classes créatives, venues de l’extérieur de la ville pour travailler dans le secteur culturel et événementiel (Mooney, 2004). Des questionnements grandissants se posent aussi vis-à-vis du coût environnemental induit par ces politiques urbaines (Duffy et Mair, 2021). Au-delà des objectifs annoncés en termes économiques, quels peuvent donc être les impacts des politiques de développement par l’événement sur les enjeux sociaux et environnementaux qui prennent place dans différentes villes du monde ? Dans quelle mesure participent-ils à renforcer, sous couvert de pratiques festives et ludiques, les inégalités et les tensions générées par la ville dans un contexte néolibéral ?

À l’inverse, les articles de ce numéro pourront s’interroger sur la manière dont les événements sont à même d’être utilisés pour mener des politiques urbaines plus inclusives. Comme le montrent aujourd’hui certains travaux, les critiques formulées vis-à-vis de la ville créative et événementielle ont aussi entrainé certaines inflexions dans la rhétorique associée à l’implantation des événements : dans les documents stratégiques de certaines municipalités, on constate ainsi l’émergence de discours visant à affirmer l’existence, au-delà de la question économique, de bénéfices sociaux et environnementaux associés à l’organisation et l’accueil d’événements (Quinn et al., 2020).

Derrière ces enjeux se pose néanmoins la question des acteurs qui sortent renforcés de la mise en place de telles stratégies. Certaines études ont pu montrer comment, y compris dans la cadre des nouveaux discours autour de l’inclusivité, les événements peuvent accroître la primauté des acteurs privés sur les acteurs publics dans la fabrique de la ville, mais aussi d’acteurs opérant à l’échelle nationale ou globale au détriment des acteurs locaux (Guillard et McGillivray, 2022). Ainsi, derrière l’idée de placer la ville sur la carte des échanges mondialisés, comment les événements contribuent à transformer les rapports de force qui prennent place entre différents acteurs, et à différentes échelles, dans la production institutionnelle de l’urbain ?

L’événement dans la ville

Ce deuxième axe invite les propositions à s’intéresser aux liens spatiaux entre événements et villes. Tout d’abord, il convient de se demander où sont les événements en ville et ce qu’ils donnent à voir de la ville. Si certains événements adoptent une géographie diffuse dans la ville, à l’image du festival de bande dessinée d’Angoulême ou du festival d’Avignon, la plupart des événements sont concentrés en un ou quelques lieux, déformant la réalité urbaine (Jamieson, 2004). La plupart des événements ont une localisation très centrale, ignorant les périphéries urbaines la plupart du temps ou sélectionnant quelques rares sites très accessibles, à l’image du Stade de France en Seine-Saint-Denis. Franchir les limites de la ville implique souvent de créer et penser d’autres événements, à l’image de la Pride des banlieues en Ile-de-France, qui est organisée à Saint-Denis, tandis que la Marche des fiertés est avant tout parisienne, même si son point de départ fut une fois en banlieue (Pantin en 2021). Malgré tout, les périphéries urbaines offrent aussi des opportunités foncières réelles, avec de vastes terrains disponibles pour aménager des sites, permanents ou temporaires. Ainsi, l’exposition universelle de Milan en 2015 est en périphérie de la ville, posant alors la question de son accessibilité, notamment pour les touristes, qui disposaient moins fréquemment d’une voiture.

2. Le Parc olympique de Munich (Marine Duc, 2022)

Cette localisation des lieux événementiels pose aussi la question de la pérennité des aménagements. Certains événements reposent sur des lieux permanents, dont l’usage hors de l’événement est très divers. Ainsi, à Munich, le parc du Theresienwiese, qui accueille chaque année l’Oktoberfest, a fini par servir à d’autres événements pour éviter le non usage de ces 42 hectares en pleine ville une grande partie de l’année. De même pour le Parc olympique de Munich, construit pour les Jeux Olympiques de 1972 et qui sert à la fois de parc tout en accueillant des équipements sportifs et d’autres événements sportifs, comme les Championnats d’Europe de 2022. Cette question de la pérennité des sites rejoint celle, centrale, du lien entre événements et production urbaine. Les grands événements sportifs, les expositions universelles, les grands festivals impliquent des lieux, que ce soient des stades, des salles de spectacle, des pavillons… Ceci peut mener certaines villes à une spécialisation dans le tourisme d’affaires, à l’image de Cannes avec son palais des festivals, mais ceci peut aussi mener à une réhabilitation plus profonde de certains quartiers. Ainsi, à Londres, les Jeux Olympiques de 2012 entraînent de grands travaux dans l’Est de Londres, afin d’accueillir des sites olympiques, qui sont tout de suite pensés avec des aménagements et des équipements urbains à long terme (centres commerciaux, gares) (Appert, 2012). Si des infrastructures construites pour les événements ont parfois trouvé une place dans le tissu et la vie sociale urbaine – malgré le fait que leur construction ait pu originellement se traduire par le déplacement de certaines populations –, les héritages urbains de ces manifestations ne sont pas toujours aisés à gérer. Ainsi, à Rio de Janeiro, l’organisation successive des Jeux panaméricains, de la Coupe du monde de football et des Jeux olympiques entre 2007 et 2016, laisse un héritage urbain sous-utilisé, notamment en raison d’une inadéquation entre les sports olympiques et les pratiques sportives brésiliennes (Barandier, 2014). On pointe ici l’une des limites de la mondialisation événementielle, à savoir un décalage entre des pratiques mondialisées et des pratiques locales, aux effets urbains locaux non négligeables.

L’héritage urbain des événements ne se lit pas seulement dans les aménagements et les équipements, souvent avancés par les acteurs urbains comme l’apport le plus important des événements à long terme. Il se voit aussi dans les pratiques de contrôle, de sécurisation et de surveillance des villes. En effet, les grands événements nécessitent une sécurisation des lieux et de fait une surveillance de ces lieux, mais ils sont de plus en plus utilisés comme un argument pour déployer des systèmes de vidéosurveillance. Les autorités françaises viennent ainsi de faire passer une loi autorisant la vidéosurveillance et l’usage d’algorithmes pour analyser ces images jusqu’en juin 2025. Si l’usage de la vidéosurveillance est présenté comme nécessaire au bon déroulement de la Coupe du monde de rugby à l’automne 2023 et aux Jeux Olympiques durant l’été 2024, la loi autorise cet usage plus d’un an après, posant la question d’une généralisation de ces pratiques au-delà de ces événements (Picaud, 2021).

La production urbaine événementielle permet donc d’ouvrir de nombreuses pistes de réflexions sur les liens entre événements et villes, en termes de temporalités, mais aussi de lieux et des politiques urbaines associées à ces événements. Cette fabrique de la ville événementielle ouvre également un champ de réflexion sur les liens entre populations et événements, produire la ville pour un événement ayant des effets réels sur la vie quotidienne de ses habitant·es.

Vivre (avec) les événements

Ce troisième axe invite les contributions à s’intéresser aux expériences citadines de l’événement, et au quotidien urbain des habitant·es avant et pendant les événements. Si les fêtes, festivals et rassemblements placent temporairement leur lieu de vie au centre d’une actualité internationale, nationale ou régionale, la fête n’est pas systématiquement au rendez-vous. En effet, les riverain·es subissent souvent le temps de l’événement, mais aussi de sa préparation. Les travaux, les installations d’éléments mobiles (tentes, préfabriqués, sanitaires mobiles, services flottants) ou d’infrastructures plus pérennes (bâtiments, logements, infrastructures de transports) entraînent, pour des périodes variables, leur lot de désagréments, tels que des routes barrées, des adaptations de circulation. À plus long terme, les aménagements décidés dans le cadre de la préparation d’un événement – souvent de dimension internationale – encouragent la spéculation immobilière et accélèrent la gentrification (Appert, 2012 ; Watt 2013 ; Languillon-Aussel 2018), avec pour effet d’évincer de leurs quartiers les ménages les plus fragiles sur le plan socio-économique. Ainsi, de nombreux collectifs, qui observent les effets des événements sur l’environnement urbain, estiment que les habitant·es en sont les grand·es « oublié·es », à plus forte raison lorsque, pour les événements payants, le statut de « résident·e » ne donne pas accès à des tarifs préférentiels. La récente polémique à l’issue de la première phase de vente des places pour les Jeux Olympiques de Paris, qui a dénoncé à la fois les tarifs élevés et l’obligation d’achats multiples, a mis au jour une nouvelle fois la déconnexion entre l’événement sportif et son principal lieu d’implantation, la ville de Saint-Denis. Dans un contexte de multiplication des grands événements et des réaménagements qui les accompagnent, cet axe s’interrogera sur les diverses formes d’exclusion et de privatisation des espaces publics, mais s’intéressera aussi aux mobilisations collectives mises en place par les habitants. Quelles sont les modalités d’action privilégiées par les collectifs d’habitants, et quels sont leurs effets sur les politiques urbaines liées aux événements ? Dans quelle mesure les événements peuvent-ils éclairer sur le renouvellement des modes d’actions collectives, entre mobilisations physiques et virtuelles (McGillivray et al., 2020), qui émergent aujourd’hui contre certains projets d’aménagements urbains ?

Au-delà des coûts d’entrée pouvant être prohibitifs, les modalités d’organisation des événements impliquent, au nom de la sécurité, une présence policière et armée, ou d’agents de société de sécurité privée, dont la présence et les pratiques (contrôles d’identité, barrages filtrants, blocages de certains accès) engendrent un sentiment de dépossession de l’espace de vie habituel, à plus forte raison lorsque cela s’ajoute à un flux important de visiteur·ses. En dépit d’investissements réels, et parfois conséquents, dans quelles configurations ces événements constituent vraiment une ressource pour les habitant·es ? Face au recours massif au bénévolat, ou aux contrats de courte durée, la question de l’emploi, ou plus largement de l’événement comme opportunité économique, semble se poser de manière différenciée selon que l’on est commerçant·e, restaurateur·rice, propriétaire pouvant louer au prix fort tout ou partie de son logement, ou un·e habitant·e appartenant aux classes les plus défavorisées. En partageant ainsi les « gagnant·es » et les « perdant·es », les événements ne risquent-ils pas de fragiliser davantage le tissu social des villes hôtes ?

3. Des employés de la société Sukleen, alors chargée du ramassage des ordures à Beyrouth, pendant un festival de rue dans le quartier de Mar Mikhaïl (Marie Bonte, 2015).

La question se pose également dans le rapport entre les habitant·es et les participant·es aux événements venu·es occuper temporairement les lieux. En dehors de l’indéniable manne touristique, de quelles manières peuvent se dérouler ces cohabitations temporaires, lorsque les usages de l’espace et les rythmes de vie peuvent être diamétralement opposés ? Cet axe inclut donc aussi les contributions qui explorent les différentes manières de vivre les événements, et s’intéressent aux pratiques des festivalier·ères, fans, supporter·rices, amateur·rices et visiteur·ses. Souvent au cœur des événements urbains, l’expérience festive implique des activités se déroulant la nuit, des consommations excessives, des comportements expansifs, bruyants, transgressifs. Synonymes de désordre ou de nuisance pour une partie des habitant·es, ces pratiques sont, pour la communauté éphémère rassemblée lors d’une occasion ponctuelle ou cyclique, accélératrices de lien social. Dans quelles configurations les événements peuvent-ils faire advenir les espaces d’un possible vivre-ensemble (Stevens et Shin, 2014), en altérant temporairement les hiérarchies et les rapports sociaux, qu’ils soient exprimés en termes de classe, de race, de genre, de sexualité, d’âge ou d’origine géographique ? Moments de célébration, les événements se font aussi l’écho de revendications sociales et politiques : droit des minorités, partage des richesses et des ressources, protection de l’environnement par exemple. Lorsqu’ils sont conçus comme étant contestataires ou alternatifs (prides, contre-sommets), les événements permettent ainsi d’être vu·es et entendu·es, voire plus simplement d’exister en s’affranchissant des catégories auxquelles le temps ordinaire assigne (Lewis et Hermann, 2022). Comment les événements peuvent constituer des scènes d’exposition, des espaces de négociation des libertés individuelles par ailleurs limitées ou fréquemment menacées ?

Enfin, puisque « l’événement achevé ne se retire pas complètement » (Lanne, 2012 : 110), ce numéro thématique d’Urbanités s’intéresse également aux réflexions sur l’« après » événements : quelles sont les traces laissées dans le paysage urbain et dans les mémoires collectives ? Au-delà de la question institutionnalisée de « l’héritage des Jeux Olympiques » (Collinet et Schut, 2020) qui, traitée avant le déroulement de l’événement, travaille essentiellement à l’acceptabilité sociale de ce dernier, quelles réussites et quels échecs d’une certaine manière de concevoir et vivre la ville les événements nous enseignent-ils ?

Pour ce #19 / Urbanités événementielles, nous attendons donc des propositions d’articles tout autant que des portfolios. Si nous avons beaucoup évoqué certains champs disciplinaires dans cet appel, nous ne restreignons pas ce numéro à ces domaines et toute proposition qui traite du lien entre événements et villes est la bienvenue.

Rédacteur et rédactrices en chef du #19 :

  • Marie Bonte : marie.bonte@revue-urbanites.fr
  • Séverin Guillard : severin.guillard@revue-urbanites.fr
  • Charlotte Ruggeri : charlotte.ruggeri@revue-urbanites.fr

Modalités de soumission

La proposition précisera les noms, prénoms, statuts et email de (ou des) l’auteur·trice. La date limite de soumission des propositions est le mardi 6 juin 2023.

Elle est à renvoyer à l’adresse suivante : contact@revue-urbanites.fr

Proposition d’articles

La proposition comprendra un résumé d’une page maximum (Times New Roman 12, interligne simple). Elle devra énoncer une problématique de recherche claire, ainsi que les axes que l’article abordera s’il est retenu. La claire mention de quelques références bibliographiques que l’article utilisera sera appréciée.

Propositions de portfolio

Si vous souhaitez proposer un portfolio, veuillez nous envoyer un résumé d’une page maximum (Times New Roman 12, interligne simple), avec une problématique de recherche claire, les axes de l’article s’il est retenu et veuillez joindre au moins 5 photos qui refléteront le travail final proposé. La claire mention de quelques références bibliographiques que l’article utilisera sera appréciée.

Calendrier prévisionnel

Retour des propositions : mardi 6 juin 2023

Acceptation du comité de rédaction : mi-juillet 2023

Première version de l’article : 15 septembre 2023

Publication du #16 : juin 2024

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Couverture : entrée d’un événement pendant un festival de théâtre de rue à Glasgow (Séverin Guillard, 2021)

Bibliographie

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Appert M., 2012, « Les JO 2012 à Londres : un grand événement alibi du renouvellement urbain à l’est de la capitale », Géoconfluences, en ligne.

Barandier H., 2014, « Coupe du monde et Jeux olympiques à Rio : quel legs urbain ? », Urbanités, en ligne.

Bonte M., 2017, Beyrouth, états de fête : géographie des loisirs nocturnes dans une ville post-conflit, Thèse de doctorat en géographie, Université Grenoble Alpes.

Bonte M. et Duc M., 2020, « Espaces publics, espaces ouverts ? Pratiques festives, régulations et normativité dans un Beyrouth post-conflit. Entretien avec Marie Bonte », Urbanités, en ligne.

Boogaarts I., 1993, « Festivalomania. A la recherche du public marchand », Les Annales de la Recherche Urbaine, n°57-58, 114-119.

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Pour citer cet appel : Bonte M., Guillard S. et Ruggeri C., 2023, « Appel #19 / Urbanités événementielles », Urbanités, avril 2023, en ligne.

  1. Le Comité de vigilance des JO 2024, ou le collectif Saccage 2024 par exemple. []

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