#7 / Entretien : Le Centre d’Hébergement Provisoire du 16ème : comment les architectes défendent leur projet ?
Entretien avec Olivier Leclercq et Cyrille Hanappe, par Clara Piolatto
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Olivier Leclercq est architecte, élu au Conseil Régional de l’Ordre des Architectes en Île-de-France et membre de l’association Mouvement des Architectes.
Cyrille Hanappe est architecte-ingénieur, enseignant à l’École Nationale Supérieure d’Architecture Paris-Belleville et directeur pédagogique du Diplôme Supérieur d’Architecture « Architecture des Risques Majeurs ».
Ils sont tous les deux fondateurs de l’association Actes & Cités et associés de l’agence Architecture Ingénieries Recherches (AIR Architecture). Ils ont participé au projet de Centre d’Hébergement Provisoire dans le 16ème arrondissement de Paris qui a surgi sur la scène médiatique avec la réunion publique du 14 mars 2016 à l’université Paris-Dauphine. Entre peur des migrants et protection de l’espace boisé, le ton monte du côté des opposants au projet. Deux des trois architectes reviennent ici sur son élaboration.
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EN QUOI CONSISTE LE PROJET DE CENTRE D’HÉBERGEMENT PROVISOIRE DANS LE 16EME ARRONDISSEMENT ET QUEL RÔLE AVEZ-VOUS JOUÉ DANS SON ÉLABORATION ?
Cyrille Hanappe (CH) : L’habitat précaire et l’hébergement d’urgence sont des sujets sur lesquels nous travaillons depuis plusieurs années. À la découverte de la mort du petit Aylan, la Ville de Paris décide de s’engager plus activement dans l’hébergement des réfugiés. L’association Aurore1 a été désignée pour prendre en charge le projet avec son architecte attitré, Guillaume Hannoune2. Connaissant nos activités, la Ville nous a contactés pour nous demander d’y travailler avec eux.
La Mairie avait localisé un site en bordure du bois de Boulogne, sur l’allée des fortifications. La Commission des Sites Historiques s’était assurée qu’il dérangeait le moins possible, en fonction des atteintes au site historique et des riverains. Il est donc éloigné des habitations et permet de faire un Centre d’Hébergement Provisoire sans trop déranger la ville, tout en étant proche de la Porte de Passy pour des questions de commodités et d’accès au métro.
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Olivier Leclercq (OL) : Nous avons analysé l’îlot comme pour un projet classique. Sauf que là, le terrain est une rue pour l’instant occupée par les véhicules, en parking sauvage, qui va être désaffectée. Ce n’est pas dans le bois de Boulogne et c’est à 50 mètres des premiers immeubles. Nous avons respecté l’entrée au square des écrivains morts pour la France et travaillé l’impact des masses bâties sur le paysage local. Nous avons fait un inventaire extrêmement exhaustif de tous les arbres, taille par taille, essence par essence, qui nous a permis de définir une volumétrie en 3D dans laquelle on insère le bâti sans avoir à en tailler.
Cette combinaison des deux analyses spatiales, celle des arbres et celle du bâti, nous a donné une forme qu’on propose de faire en modules bois. Les deux bâtiments « individuels » (pour les personnes seules) comportent des chambres de 9 m2 avec un couloir central et des douches collectives tandis que les deux bâtiments « familles » se composent de studios et deux pièces. Les repas sont donnés dans un réfectoire collectif, un par habitation. C’est très organisé.
À chaque étage de ces bâtiments, les gens peuvent s’approprier des modules vides qui permettent également de créer des moments de transparence dans cette architecture. Dans le cinquième et dernier bâtiment, le gardien, physionomiste, accueille à la grille et contrôle qui rentre, qui sort.
CH : L’hébergement ne doit pas être traité comme quelque chose d’exclusivement fonctionnel. La pensée dominante en France pense que l’hébergement d’urgence doit avoir une réponse techniciste. L’exemple le pire de tout ça étant ce qui se fait à la Jungle de Calais avec les containers, où il n’y a aucune appropriation possible. Mais il existe un droit à la ville et à l’architecture. Développer un nouveau projet, c’est le penser intégré dans son environnement, comme une partie de ville avec des échanges entre l’intérieur et l’extérieur qui créent une urbanité. Ce type de projet réclame une attention égale, et même supérieure, à celle d’un projet d’architecture classique. C’est important de donner quelque chose au quartier, qu’il y ait des espaces en interface, ouverts aux habitants du quartier, qui ne créent pas une enclave qui fait peur.
Il y a encore un gros travail sur les mentalités et les modes de gestion de ce genre de lieu pour le moment. Combattre les schémas prédominants est un peu long. D’autres endroits réussissent, comme à Saint Vincent de Paul avec Yes We Camp, où il y a un Centre d’Hébergement d’Urgence et des activités pour les jeunes.
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LA RÉUNION PUBLIQUE DU 14 MARS 2016 À L’UNIVERSITÉ PARIS-DAUPHINE A DURÉ 25 MINUTES, LA COLÈRE DU PUBLIC RENDANT IMPOSSIBLE TANT LES INTERVENTIONS QUE LE DÉBAT. SI VOUS AVIEZ ÉTÉ DÉSIGNÉS POUR ORGANISER LA RÉUNION, COMMENT AURIEZ-VOUS PRÉSENTÉ LE PROJET ?
OL : Nous aurions aimé en faire une plus tôt, quand le projet était moins ficelé. Ça n’a pas été possible parce que c’est très conflictuel, tendu et que les gens ne sont pas ouverts au dialogue. Ça faisait déjà deux mois que des pétitions circulaient, alors que nous n’avions même pas fini le projet. L’interview de Monique Pinçon-Charlot décrit exactement comment cette population veut maintenir un entre-soi et tuer dans l’œuf toutes les initiatives qui peuvent le perturber3. C’est un endroit tellement incroyable, si l’immobilier y chute, ce sera dû à d’autres contextes.
CH : L’installation est temporaire, de trois à cinq ans maximum. Ils laissent les égoïsmes s’affirmer comme ils n’osaient pas le faire avant. Dans Les villes nomades, Stany Cambot raconte comment, dans le 16ème, il y a encore des petites niches, des petites installations, des petites boutiques, des cordonniers, qui sont faites au croisement de deux immeubles. Il y a eu des formes d’intégration très sociale.
OL : Il y a une grosse opération de logements sociaux juste à côté du projet du Centre, tout le monde se bat contre. Cette opération a pris dix ans de retard. Les immeubles sont magnifiques, d’excellente qualité. Les riverains ne sont pas contre le fait que ça se voit ou non, ils sont contre le fait qu’il y ait des gens différents d’eux, qui ne soient pas de leur catégorie sociale et qui viennent habiter à côté. Nous avons dû tricher les perspectives du Centre d’Hébergement Provisoire en désopacifiant les arbres pour voir ce que serait le bâtiment. En réalité, seul le pignon qui donne sur la Porte de Passy se verra.
Ce qui a également été reproché à cette initiative, c’est de dire que ce sera un nouveau Sangatte. Rappelons qu’il y a 10 000 places d’hébergement d’urgence à Paris qui sont réparties à peu près uniformément dans Paris sauf dans le 16ème.
CH : Sauf les quartiers chics, dans le 7ème non plus il n’y en a pas.
OL : Nous n’avons pas relevé de phénomène Sangatte à Paris. Du moins, personne n’en a parlé si c’est arrivé. Il n’y a pas eu d’effet Jungle à Paris. Il n’y a pas eu de phénomène d’exagération.
De plus, contrôlé, assez fortement, par Aurore, ça va être serré niveau sécurité. Nous aurions même voulu que ce soit un peu moins contrôlé… Il n’y a aucun risque que ça déborde ou que ça se transforme en Sangatte.
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ON A PU ENTENDRE LA CRAINTE D’UNE URBANISATION DU BOIS À LA RÉUNION PUBLIQUE. CE PROJET OUVRE-T-IL LA PORTE À DES CONSTRUCTIONS DANS TOUT LE BOIS DE BOULOGNE ?
CH : Le bâtiment est provisoire à cet emplacement-là mais ces modules bois démontables-transportables auront peut-être une durée de vie de dix ans, vingt ans, en se déplaçant sur plusieurs sites. Une fois partis de l’allée des fortifications, nous souhaitons renaturaliser la rue sur laquelle nous nous sommes installés, puisqu’elle ne sert à rien dans le réseau viaire. C’est typiquement une innovation de notre temps, liée à ce programme, amenée par ces nouvelles problématiques qui montrent que les logiques foncières classiques ne fonctionnent pas. Face à la crise du logement et la pénurie de terrains, la Mairie de Paris ouvre un nouveau potentiel qui ne figure pas dans le droit foncier classique.
OL : Nous avions travaillé avec PEROU4 et Échelle Inconnue5 sur « La chasse au luxe ». Avec des étudiants, nous sommes allés repérer des parcelles dans le 5ème arrondissement de Paris, non pas avec un regard de notaire, mais avec un regard d’architecte. S’il y a un bout de pignon, un bâtiment en recul par rapport à la rue, nous pouvons y installer cinq ou six logements à chaque fois. Sans divisions parcellaires, nous n’achetons pas de terrains mais nous les occupons. L’idée est d’adapter l’architecture pour qu’elle puisse se poser, s’accrocher, se lover, s’immiscer, s’insérer dans tous ces terrains-là, avec à chaque fois une gestuelle particulière, une façon de s’approprier ce bout de parcelle. Nous avons développé l’idée d’un module technique de 16 m2 dans lequel on met salle de bain, cuisine, toilette, chauffage et tableau électrique. Ensuite, en fonction des terrains, on construit autour en s’adaptant au cas par cas. C’est notre réponse à l’appel à projets « Le Paris de l’hospitalité » et c’est dans cet esprit que nous avons conçu le Centre d’Hébergement Provisoire.
MICHEL PINÇON ET MONIQUE PINÇON-CHARLOT DONNENT À VOIR LES USAGES DES RICHES DANS LE BOIS DE BOULOGNE, QUI SONT LES CERCLES, DES EMPRISES BÂTIES ET CACHÉES. AVEC LES RIVERAINS, ON ENTEND PLUTÔT LE DISCOURS SUR LES PROSTITUÉES. COMMENT EST-CE QUE VOUS COMPTEZ, VOUS, VOUS APPROPRIER LES DISCOURS AUTOUR DE CES DEUX USAGES DU BOIS POUR LÉGITIMER LA PLACE DES USAGERS DU CENTRE D’HÉBERGEMENT PROVISOIRE ?
OL : Les SDF ne vont pas installer des réseaux de prostitution et cambrioler. En revanche, ils vont, par leur présence, apporter un peu plus de sécurité et de vie dans cette rue, ce qui fait que la criminalité peut moins s’installer. Ce n’est pas parce que les gens sont pauvres qu’ils sont criminels. À la réunion publique, un gars disait : « On va pas ajouter de l’insécurité à de l’insécurité », avec une naïveté déconcertante.
CH : Les cambriolages dans le 16ème ne prennent pas la même forme que dans d’autres arrondissements de Paris.
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COMMENT PASSE-T-ON LE PAS DE FAIRE PARTICIPER NON SEULEMENT LES HABITANTS MAIS AUSSI LES VOISINS DES HABITANTS DES BÂTIMENTS QU’ON CONSTRUIT ?
OL : Ça va faire quinze ans que nous travaillons avec et pour les gens, que nous introduisons un maximum de concertation dans tous nos projets. C’est tellement tendu avec les voisins cette fois que nous ne tentons même pas le coup. Nous l’avons pourtant fait dans des situations incroyables, par exemple, pour un cinéma à Fontainebleau, avec les habitants, avec les monuments historiques, c’était laborieux mais nous l’avons quand même fait. Pour le Centre d’Hébergement Provisoire, les riverains contestent le fait même du programme, pas comment on va le faire mais le fait même de le faire.
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LES HABITANTS DES ABORDS DU BOIS DE BOULOGNE SONT A PRIORI TRÈS RODÉS SUR DES MÉCANISMES LÉGISLATIFS QUI PEUVENT PROTÉGER LEUR TERRITOIRE. ILS ONT ÉTÉ SURPRIS PAR LA DÉROGATION DE CONSTRUCTION SUR LA VOIE PUBLIQUE DE LA MAIRIE, CE QUI A PROBABLEMENT DÉCLENCHÉ TANT DE VIOLENCE.
CH : Un pan de la ville s’est auto-décrété comme ghetto, pas multi-fonctionnel. C’est l’inverse de la ville accueillante qu’il faut faire. Il y a peut-être des nouvelles formes de villes à inventer : une ville qui sait absorber des arrivées de populations rapides, inattendues, et qui forment des bouts de ville, de quartiers, qui appartiennent à la grande ville, à la métropole. Ses infrastructures permettraient des appropriations et seraient fondées sur de nouveaux droits fonciers aujourd’hui inconnus, peut-être liés à des droits d’usage, avec des termes précis dans le temps.
Dans l’enseignement de l’architecture, on cherche à dépasser la norme. Notre société a produit un environnement extrêmement normatif, où on croit répondre à des besoins par des obligations de moyens. Je pense aux normes handicapées par exemple. On répond à un besoin social immense par des systèmes mécanistes.
OL : Nous les architectes pouvons apporter des solutions auxquelles les autres acteurs ne peuvent pas répondre. Les autres n’ont que des leviers juridiques ou normatifs quand on a des solutions qui s’adaptent à leurs contraintes. L’architecture est très malléable. C’est juste des idées, des propositions techniques qui permettent d’apporter des solutions au problème d’hébergement. C’est extrêmement politique d’un point de vue noble du terme, ce n’est ni de droite, ni de gauche, ni écologiste.
ENTRETIEN RÉALISÉ PAR CLARA PIOLATTO EN MARS 2016.
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Illustration de couverture : Image de synthèse du Centre d’Hébergement Provisoire sur l’allée des fortifications dans le 16ème arrondissement (AIR Architecture/Moonarchitecture, 2015)
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- « Créée en 1871, l’association Aurore héberge, soigne et accompagne près de 30 000 personnes en situation de précarité ou d’exclusion vers une insertion sociale et professionnelle. Reconnue d’utilité publique depuis 1875, Aurore s’appuie sur son expérience pour proposer et expérimenter des formes innovantes de prises en charge, qui s’adaptent à l’évolution des phénomènes de précarité et d’exclusion. » [↩]
- Guillaume Hannoune est architecte au sein de l’agence moonarchitectures. La présentation du projet sur son site : http://www.moonarchitectures.fr/architecture/centre-dhebergement-provisoire-de-200-places/ [↩]
- Voir également l’entretien réalisé avec Monique Pinçon-Charlot dans ce numéro [↩]
- « Association loi 1901 fondée en septembre 2012, le PEROU est un laboratoire de recherche-action sur la ville hostile conçu pour faire s’articuler action sociale et action architecturale en réponse au péril alentour, et renouveler ainsi savoirs et savoir- faire sur la question. S’en référant aux droits fondamentaux européens de la personne et au « droit à la ville » qui en découle, le PEROU se veut un outil au service de la multitude d’indésirables, communément comptabilisés comme cas sociaux voire ethniques, mais jamais considérés comme habitants à part entière. » http://www.perou-paris.org/Manifeste.html [↩]
- Depuis 1998, Echelle Inconnue met en place des travaux et expériences artistiques autour de la ville et du territoire. Ces expériences au long cours interrogent et associent les « exclus du plan » (sans-abris, Tziganes, immigrés…). Elles donnent lieu à des interventions dans l’espace public, expositions, sites Internet, vidéos, affiches, cartes, publications… Ce dont il est ici question, c’est de « l’invisible de nos villes ». http://www.echelleinconnue.net [↩]