#15 / Habiter la ville effondrée : Marseille après le 5 novembre 2018

Mikaela Le Meur, Sandrine Musso et Maud Saint-Lary

L’article de Mikaela Le Meur, Sandrine Musso et Maud Saint-Lary au format PDF


La date du 5 novembre 2018 a fait événement dans nos vies de marseillaises et dans nos trajectoires d’anthropologues. Chacune d’entre nous a appris l’effondrement des immeubles de la rue d’Aubagne et la mort de leurs occupant·e·s dans des circonstances que nous sommes toujours capables de décrire aujourd’hui, tant nous en avons fait le récit, d’abord avec nos proches – pour s’épancher, se soutenir – puis sur la toile – pour partager et commencer à analyser. Depuis notre maison ou notre bureau, à Marseille ou à Ouagadougou, nous avons accueilli la nouvelle de ce drame avec sidération : comment était-il possible que des immeubles s’effondrent sur leurs habitant·e·s dans le quartier de Noailles « ventre1 de Marseille » que nous traversons régulièrement et où chacune d’entre nous avait habité ?

À l’image de nombreux·ses citadin·e·s, nous avons été saisies par cette violente mise à nu de la fragilité de l’habitat historique marseillais et par la vulnérabilité des vies de nos voisin·e·s disparu·e·s. Nous avons eu peur. L’angoisse que tout autour de nous ne s’effondre à la moindre pluie s’est installée, jusqu’à ce que nous inspections les plus infimes fissures de nos intérieurs et celles, plus inquiétantes, des murs de la ville. En chercheuses, nous avons tenté de transformer cette angoisse en méthode (Devereux, 2012). Après avoir été prises, nous avons ainsi cherché une reprise anthropologique (Favret-Saada, 2009) sur le drame de la rue d’Aubagne, ce qui nous a conduites à démarrer une enquête exploratoire. Notre rôle d’anthropologues n’était-il pas de prendre part à ce qui se passait dans la cité ?  Nous ressentions d’abord le besoin de penser le bouleversement dans les manières d’habiter la ville provoqué par la chute des immeubles et la mort de leurs occupant·e·s. Impliquées de diverses manières et à divers degrés dans le développement d’une « anthropologie publique », nous souhaitions également documenter, observer et rendre compte : faire de notre discipline autant un « ouvroir qu’un miroir » (Agier, 2018).

Cette démarche a été au fondement de notre trio, qui s’est alors donné un nom et un blog : « Après l’effondrement : Habiter Marseille après le 5 novembre 2018 ». Le 5 novembre 2018 est une date qui fait « événement » parce qu’il s’agit, comme l’aurait suggéré Roger Bastide, d’« une coupure dans la continuité du temps ». C’est un moment « choisi dans l’écoulement des choses parce qu’il sort de l’uniformité et qu’il touche notre sensibilité et notre intelligence » (Bastide, 1968). L’effondrement, figure dominante des récits du futur qui peuplent nos présents2, n’était pas devant nous : il avait déjà eu lieu. Il y a un avant et un aprèsle 5 novembre 2018 qui imprègnent les récits de nombreuses personnes qui, de près ou de loin, se sentent concernées par ce drame. L’enquête anthropologique nous est apparue comme une manière d’apporter notre contribution à la mosaïque d’initiatives citoyennes qui ont vu le jour depuis cet événement.

Ce portfolio, composé de photographies prises sur le vif, le plus souvent avec nos téléphones lors de déambulations urbaines inscrites dans notre quotidien de Marseillaises et lors de nos rendez-vous collectifs hebdomadaires destinés à structurer l’enquête, propose de rendre compte de ce travail qui revêt un caractère expérimental. L’analyse et l’écriture sont le résultat d’un travail systématiquement mené à trois et où la démarche est avant tout partie d’un sentiment d’indignation.

Contribuer à une anthropologie publique

1. Affiche annonçant un atelier de discussion. Commémoration des 6 mois après le 5.11.2018 dans le quartier de Noailles. – Marseille, mai 2019.

Tous les mercredis matin durant plusieurs mois de l’année 2019, nous nous sommes retrouvées pour déambuler dans le quartier de Noailles, sans but précis, avec l’intime conviction que « l’observation flottante » si chère à Colette Petonnet (1982) pourrait permettre de documenter l’évènement du 5 novembre 2018. Nous avons également rassemblé des documents et interviewé des gens : des habitant·e·s du quartier, des militant·e·s de collectifs, des travailleuses et travailleurs sociaux, des médecins, des psychologues, de manière formelle ou informelle. Nous avons sillonné les zones de Marseille marquées par les effondrements (rue d’Aubagne) et celles qui lui sont liées : les déconstructions d’immeubles (rue de la Palud), les démolitions (rue la Fare) et les arrêtés de péril plus ou moins imminents qui ont entraîné des déplacements de population inédits au sein de la ville. Nous sommes entrées dans les endroits dédiés aux sinistré·e·s (comme à la cité des associations) et ceux où l’on tient à les qualifier d’évacué·e·s (« espace d’accueil des personnes évacuées » rue Beauvau). Nous avons découvert que les mots employés pour parler des victimes varient en fonction des espaces de prise en charge : évacué·e·s, délogé·e·s, sinistré·e·s ou expulsé·e·s. Rien d’anodin. Les collectifs de militants parlent de « délogé·e·s », et plus récemment des « expulsé·e·s », en référence à des habitant·e·s expulsé·e·s de leur logement sans arrêté de péril imminent et donc, sans possibilité d’être relogé·e·s. Ce travail de documentation est en cours, inachevé. Tellement de pistes restent encore à explorer.

Avec cette approche ethnographique centrée sur l’événement et ses suites, l’effondrement n’est plus seulement une perspective globale et inquiétante sur l’avenir, à l’image du manuel de collapsologie qui raconte Comment tout peut s’effondrer (Servigne et Stevens, 2015). Si Bénédicte Zitouni et François Thoreau critiquent cette manière de construire ce qu’ils appellent des « récits sans peuples et sans devenir particuliers » (Zitouni et Thoreau, 2018), nous nous sommes au contraire efforcées de considérer l’effondrement comme une réalité tangible et localisée, touchant et mobilisant des collectifs et des devenirs spécifiques.

Compter les morts : dénombrements, rumeurs, morts « cachées » et morts « oubliées »

2. Banderole d’hommages aux « martyrs » de la rue d’Aubagne, morts dans les effondrements le 5 novembre 2018 – Marseille, juin 2019

Sur les 8 photos du panneau d’hommage aux « martyrs » de la rue d’Aubagne, deux visages manquent mais tous ont un prénom et presque tou·te·s un âge pour les qualifier : Simona 24 ans, Niasse 26 ans, Julien 30 ans, Chérif 36 ans, Marie-Emmanuelle 55 ans, Fabien 55 ans, Taher 58 ans. Ouloume, désignée comme « mère de famille » laissant un orphelin de 10 ans, n’a ni âge ni photo.

Il a fallu plusieurs jours pour que cette liste soit établie, grâce entre autres à l’analyse ADN des dents retrouvées dans les gravats et décombres, mais aussi d’autres procédures de médecine légale élaborées après les attentats de Paris et Nice. Les corps seront donc identifiés dans la semaine de fouilles qui suit les effondrements et, au-delà des 8 morts déclarées, d’autres décès ont été associés au drame par des individus et des collectifs3. Dans l’un des témoignages recueillis par l’équipe des cinéastes de la Tribune Ouverte Noailles, Sophie Dorbeaux, ancienne habitante du 65 rue d’Aubagne, ajoute par exemple à ce macabre décompte la mort de la mère de sa voisine, Marie, qui a fait un AVC quand elle a appris la nouvelle des effondrements. Elle est morte après 3 jours de coma. Zineb Redouane est quant à elle victime d’un jet de grenade reçu en plein visage alors qu’elle fermait la fenêtre de son domicile du quartier de Noailles, lors de la manifestation du premier décembre 2018 où se sont conjugués, à Marseille, les revendications des Gilets Jaunes et celles contre le mal-logement. Le 2 décembre, Zineb décède à l’hôpital et devient après cela, une figure emblématique des violences policières. Lors de la commémoration des 6 mois après les effondrements, organisée par différentes associations et collectifs, 9 minutes de silence sont observées en hommage aux 9 morts désormais associées à l’événement : les 8 morts de la rue d’Aubagne ainsi que Zineb Redouane.

D’autres variations dans le dénombrement des morts témoignent des récits et des rumeurs circulant autour du 5 novembre. Dans un documentaire réalisé dès le mois de décembre 2018 par la Rabia Del Pueblo (la Rage du Peuple, collectif fondé à Noailles en 2004 et porté notamment par la rappeuse Kenny Arkana), plusieurs habitant·e·s parlent de morts oubliées du fait que le 63, bâtiment appartenant à la mairie, officiellement vide et muré, sans toit ni fondations stables depuis plusieurs années, était en fait habité par des « squatteurs ». Écrivain et journaliste vivant à Marseille, Bruno Le Dantec l’évoque dans une émission de radio consacrée à la presse marseillaise, où il est question du premier (et seul) numéro du « ventre de Marseille », un journal mural affiché dans le quartier de Noailles et vendu dans de nombreuses boutiques et librairies à proximité : « Nous avons voulu laisser de la place aux rumeurs, car c’est quelque chose de délicat, qu’il faut traiter avec respect […]. C’est un savoir autre, une mémoire orale qui se transmet hors de la parole officielle ». Ce journal est le seul document écrit où un texte signé d’un « habitant du quartier » mentionne les personnes qui ne sont plus réapparues les jours suivants les effondrements dans le quartier, sans qu’elles aient été comptabilisées parmi les morts.

C’est exactement à cette dimension délicate que nous avons été confrontées au cours de nos discussions avec certain·e·s habitant·e·s : plusieurs personnes nous ont en effet affirmé ou sous-entendu que le « vrai » nombre de morts avait été « caché ». À l’appui de ces affirmations, elles ont mentionné l’existence d’indices. Des photos de Google maps devaient par exemple nous prouver que l’immeuble n° 63 était bien occupé, car il y avait du linge aux fenêtres les jours précédant l’effondrement. Au cours d’un entretien, une jeune femme interviewée évoquait également le fait que le chiffre de 8 avait été annoncé « car un nombre à deux chiffres, ça change les choses, la perception du drame ». Cette phrase nous avait marquées toutes les trois : « 8 morts c’est mieux que 11 morts », sous-entendant ainsi une falsification du décompte. Au-delà d’un jugement normatif sur leur contenu, les rumeurs sont depuis longtemps un objet de l’anthropologie et elles peuvent être considérées comme une forme de communication pour celles et ceux qui n’ont pas voix au chapitre, les « dépossédé·e·s » (Schepper-Hugues, 2000 : 201). Elles renvoient en tout cas à des existences qui n’ont pas acquis un statut suffisant pour « mériter d’être comptées », à l’invisibilité sociale et administrative de certaines vies et au peu de cas qui leur est faite par les autorités. Les rumeurs sont aussi le symptôme d’une défiance envers les discours officiels et d’une fracture profonde entre certain·e·s citadin·e·s et la mairie.

Mobilisations : l’étincelle du 5 novembre

3A & 3B. Sur la place Homère, à deux pas du lieu des effondrements, un transformateur électrique a accueilli une exposition de photographies sur les mobilisations post-effondrements. Elles ont ensuite été arrachées par les services de la propreté de la ville. – Marseille, juin 2019

Nous avons réalisé une capsule sonore dont le fil rouge est la question du bruit, de l’effondrement, des voix qui le racontent et des mobilisations qui en ont découlé. On peut l’écouter et lire une analyse de ce récit sonore sur notre billet de blog intitulé : « L’effondrement, ça ne fait pas de bruit ? ». Dans cette capsule une des voix, celle de Fathi, évoque les morts de la rue d’Aubagne et l’« étincelle » que cet événement a constitué pour les mobilisations qui ont suivi. Il pose la question de l’« oubli » de toutes les autres victimes de l’habitat insalubre4 que la ville de Marseille a connu et contre lesquelles de nombreuses associations luttent depuis des années. Par exemple, l’association Un Centre-Ville pour tous a été fondée en 2000 pour « faire respecter le droit à un logement décent », alors que des plans de réhabilitation urbaine menaçaient les catégories populaires vivant au centre-ville.

Un des grands impacts des effondrements du 5 novembre 2018 est l’extraordinaire mobilisation collective et citoyenne, spontanée et protéiforme, suscitée par cet événement. Quand nous avons commencé notre ethnographie dans le quartier de Noailles, nous ne mesurions pas l’importance de cette mobilisation que nous avons vu s’amplifier et se construire au fil des mois. Quelques signes médiatiques annonçaient toutefois la puissance de l’onde de choc de l’événement, puisqu’elle a atteint le New York Times qui a publié plusieurs articles sur le drame et sur les « taudis vacillants » du « cœur de l’ancien et miteux port méditerranéen » durant l’automne 2018 (Nossiter, 2018).

Localement, la mise en récit de la tragédie est une étape importante des mobilisations collectives qui suivent une catastrophe. Dans leur « ethnographie des catastrophes », Julien Langumier et Sandrine Revet insistent sur l’importance de « l’attention portée au quotidien qui se recompose après le désastre », car les victimes et leurs proches sont mus par un besoin de se constituer collectivement [comme] victimes (Langumier et Revet, 2011 : 78). Au lendemain du drame, à Marseille, les marches permettent d’abord à chacun·e de manifester son désarroi, sa colère : « marche blanche » (le 10 novembre) puis « marche de la colère » (le 14 novembre). Elles émailleront le temps d’après les effondrements et construiront largement ce récit collectif, pour se conjuguer ensuite au mouvement des Gilets Jaunes et, finalement, construire une revendication forte dans le tout Marseille pour « des vies et des logements dignes ». Ainsi, la marche organisée par le collectif de Maison Blanche – où un immeuble a été calciné fin août 2019, 10 mois après les effondrements de la rue d’Aubagne – témoigne d’un véritable « mouvement post-cinq novembre ». Ceci a révélé que les mobilisations contre l’habitat indigne et la politique municipale de pourrissement et de laisser mourir, dépassaient le cadre du centre-ville, où elle était visible sous toutes ses coutures, comme lors du Carnaval indépendant de la Plaine le 10 mars précédent (figure 6A). Le slogan « Noailles, Maison Blanche ; Mêmes dégâts, mêmes combats » ainsi que le trajet de la marche, depuis les quartiers défavorisés de Marseille (Félix Piat, Belle de mai, Saint-Mauront) jusqu’au Vieux port, devant la mairie, illustrent bien que l’enjeu s’est déployé à l’échelle de la ville. Il retentira largement pendant la campagne électorale des municipales de 2020 au sein des collectifs de citoyens dont certains ont par la suite composé le Printemps Marseillais ayant remporté les élections. Figure du « Collectif du 5 novembre » engagée pour le droit à la ville et au logement, Marie Batoux est par exemple devenue adjointe à l’éducation populaire de la nouvelle équipe municipale.

4A. Lors du Carnaval indépendant de la Plaine, le 10 mars 2020, de nombreuses références sont faites aux effondrements de la rue d’Aubagne, notamment lors du procès du Carmentran : Jean-Claude Gaudin, maire de 1995 à 2020 – Marseille, mars 2019

4B. Rassemblement contre le mal-logement près de la porte d’Aix lors de la venue du Premier Ministre Édouard Philippe et de son ministre chargé de la Ville et du logement, Julien Denormandie. – Marseille, avril 2019

4C. Bannière de tête de la marche du 7 septembre initiée par le collectif Maison Blanche, suite à l’incendie d’un immeuble ayant conduit à l’évacuation de plusieurs familles – Marseille, septembre 2019

Parallèlement à ces marches, des collectifs ont vu le jour : outre le « Collectif du 5 novembre » et « Marseille en colère » déjà évoqués, d’autres se sont constitués comme le collectif des psychologues, celui des cinéastes, ou des juristes etc. mais aussi le collectif parodique « du 5 juillet », dit des « Touristes en colère » mené par la désopilante Britney Hammerson qui interpelle régulièrement les élu·e·s, notamment la présidente du conseil départemental des Bouches-du-Rhône et de la métropole Aix-Marseille-Provence, Martine Vassal, dans la ville et sur les réseaux sociaux. D’autres structures et associations de l’aide médico-sociale d’envergure (inter)nationale ou locale, qui existaient auparavant, se sont fortement mobilisées, comme la Fondation Abbé Pierre, Emmaüs, Médecin du Monde ou encore les associations marseillaises Destination Familles, Imaje Santé et la Cellule d’urgence médico-psychologique (CUMP) des Bouches-du-Rhône, liée aux hôpitaux de la ville.

Dans cet élan de solidarité, il s’agissait de donner un soutien psychologique aux familles des victimes, car la mise en récit du drame n’est pas aisée (nous y reviendrons). Il fallait aussi accompagner les délogé·e·s en termes juridique, administratif5. Les habitant·e·s de Noailles racontent le réconfort qu’ils ont trouvé dans ce réseau d’entraide, avec l’exemple emblématique de la salle de concert Le Molotov, en haut de la rue d’Aubagne, qui a rapidement accueilli permanences juridiques, d’écoute et aides de première nécessité durant plusieurs mois. Dès les premiers jours, les associations religieuses du quartier ont également confectionné et distribué des repas. Le temps semblait s’être suspendu à cet événement et chacun a remonté ses manches en mobilisant ses réseaux d’entraide.

Puis la solidarité s’est ancrée dans le temps plus long afin de prendre en charge les délogé·e·s dont le nombre n’a cessé de croitre dans les mois qui ont suivi l’événement (pour atteindre les 4 000). Des collectes de dons ont été organisées par le « Collectif du 5 novembre », via la vente de sacs en toile et de cartes postales disponibles notamment dans « les commerces de la butte », association de commerçants du centre-ville, au profit des délogé·e·s. Leur détresse, leurs problèmes de santé, les procédures judiciaires, la paperasse, les enfants ont également été prises en charge par des ONG comme Médecins du Monde, révélant l’incapacité de la puissance publique, municipale ou d’État, à gérer l’urgence. Une économie de « crise humanitaire » s’est mise en place dans la deuxième plus grande ville de France, pour reprendre une expression souvent employée durant nos enquêtes, notamment par les bénévoles de l’ONG  : « C’est quand même fou, Médecins du Monde est intervenue en tant qu’ONG comme sur un territoire palestinien en faisant la proposition d’une politique publique de santé. On anime des espaces pour qu’il y ait des propositions (de santé publique). C’est assez particulier. Nous, on n’a rien à foutre là normalement ! » (entretien avec Thomas, bénévole à Médecins du Monde, avril 2019).

En parallèle de cette forte mobilisation des acteurs associatifs, les institutions municipales en charge de la gestion de la crise semblaient et semblent toujours dépassées par la situation6. La crise s’installant dans la durée sans qu’une sortie ne semble se dessiner, la colère des habitant·e·s et des acteurs impliqués a permis à ces collectifs de construire une revendication politique audible et un rapport de force avec les pouvoirs en place. Ainsi, une charte du relogement a été négociée avec la mairie centrale.

Étiologies politiques de l’évènement

5. Mur érigé par la Soleam (société locale d’équipement et d’aménagement de l’aire métropolitaine) entourant le chantier contesté dit de requalification de la place Jean Jaurès – Marseille, décembre 2018

Cette photographie, prise le 23 décembre 2018 sur le mur entourant la place Jean Jaurès à Marseille, proche de la rue d’Aubagne, évoque la manière dont la mort peut aussi susciter, une « étiologie politique », c’est à dire la désignation des morts comme victimes et l’identification de responsables. Alors que dans la photo de la banderole dédiée aux 8 martyrs, l’habitat insalubre est désigné comme responsable, sur cette photo, c’est la « gentrification », un terme aujourd’hui bien connu, émergeant dans les années 1960, qui est mobilisé. Dans ses travaux menés à Londres, Ruth Glass décrivait la gentrification comme « le processus à travers lequel des ménages de classes moyennes avaient peuplé d’anciens quartiers dévalorisés du centre de Londres, plutôt que d’aller résider en banlieues résidentielles selon le modèle dominant jusqu’alors pour ces couches sociales » (Bourdin, 2008). Depuis, cette notion a fait son chemin dans les sciences sociales mais aussi dans les mondes activistes et militants. À Marseille, les collectifs dénoncent une volonté politique de transformer le centre-ville populaire en quartiers dédiés aux « touristes » et aux investisseurs, une politique mortifère où la ville est moins conçue pour ses habitant·e·s que pour ses croisiéristes. Débutant au milieu des années 2000, la lutte contre la réhabilitation de la rue de la République, portée entre autres par l’association Un Centre-Ville pour tous (déjà évoquée), en est un exemple fondateur à l’échelle marseillaise.

Mais au-delà des processus de mise en accusation, notamment de l’« incurie »7 de la mairie, c’est un processus conjugué de politisation de la mort et de gestion du deuil que les mobilisations sont venues donner à voir. À partir du 5 décembre 2018, tous les mois, un rassemblement avec minutes de silence et prises de parole est initié. Pour les 6 mois, ce sont donc 9 minutes de silence, une déambulation puis de nombreuses propositions qui sont faites par les collectifs mobilisés. Le premier anniversaire des effondrements a également donné lieu à une semaine de commémoration dont l’écho national fut à la fois indéniable et ambivalent (voir nos deux balades photographiques : 6 mois après, 1 an après).

Les marqueurs d’une ville menaçante

6A et 6B. À l’angle de la rue St Vincent de Paul et du boulevard de la Libération, un commerce de livraisons de pizzas a laissé place à des étais métalliques destinés à soutenir l’immeuble en péril. La rue est fermée, le trottoir entouré de grillages. Les piéton·ne·s doivent passer leur chemin. – Marseille, juin 2019.

Il faut saisir, en termes matériels, ce que signifie habiter Marseille après les effondrements de la rue d’Aubagne. Les marqueurs et traces de ce qui est souvent qualifié de « traumatisme » se lisent autant dans le paysage urbain que dans les corps des Marseillais·e·s. Si l’habitat indigne n’est pas nouveau à Marseille – plusieurs rapports ont largement tiré la sonnette d’alarme8 – après le 5 novembre 2018, quelque chose de massif se produit. Se sentir en insécurité sous son toit devient une expérience courante pour beaucoup d’habitant·e·s. La ville a quelque chose de menaçant et une cohabitation avec le danger semble s’installer.

En décembre 2019, Émilie, une habitante du quartier de Noailles, dans le centre-ville, nous raconte que depuis un an, son îlot d’habitation fait l’objet d’une attention particulière de la part des services techniques de la mairie. Or ce n’est que depuis quelques semaines qu’elle a eu vent des procédures en cours dans son immeuble. Ces derniers temps des experts sont venus visiter la cage d’escalier, la cave, l’arrière-cour, et ont alerté les trois locataires que leur immeuble était frappé d’un arrêté de « péril ordinaire » – une curieuse expression.

Comment les mots « péril » et « ordinaire » peuvent-ils se conjuguer ? Le dictionnaire nous enseigne que « péril » est « synonyme de danger » : le péril est « [c]e qui constitue une menace pour la sécurité d’une personne, l’existence d’une personne ou d’une chose ». Quant à l’ordinaire, c’est ce qui « découle d’un ordre de choses »9. Pourtant, ce que l’on pourrait tenir pour un oxymore, n’est rien d’autre que la loi, qui distingue deux formes de périls ainsi décrits sur le site internet de la mairie de Marseille : l’arrêté de péril est ordinaire « lorsque la sécurité des locataires n’est pas immédiatement mise en jeu », l’arrêté de péril est imminent si « la sécurité des locataires est immédiatement mise en jeu ». Pour les habitant·e·s, la zone est trouble : il s’agirait de cohabiter avec la présence-absence du péril, de faire avec un danger à-venir-mais-pas-tout-de-suite, en attendant que des travaux soient réalisés. Le sablier s’écoule : si rien n’est fait, quand le péril ordinaire devient-il imminent ?

Émilie projette de déménager. Mais ce serait pour acheter, dit-elle. En fonction de son budget, elle cherche un petit appartement dans le centre-ville ; avec un extérieur, ce serait un plus. Pourtant ses recherches ne donnent rien de concluant. Outre l’état des appartements qu’elle visite, son attention se focalise sur les escaliers délabrés, les fissures dans les murs, les communs dégradés, les possibles déboires à venir au sein des copropriétés. Elle reste donc pour l’instant dans son appartement ordinairement dangereux, normalement dégradé, en plein cœur de Noailles. Entre son propriétaire qui ne mesure apparemment pas l’enjeu d’une rénovation de l’immeuble et l’agence immobilière qui fait la sourde oreille aux expertises, le péril ordinaire dure, menaçant la sécurité des habitant·e·s dans un avenir indéfini.

Quant aux arrêtés de péril imminent, ils gangrènent la ville du centre à la périphérie, marquant durablement le paysage urbain. L’ « épidémie »10 n’échappe pas aux passant·e·s : routes barrées, immeubles bouclés, étais, trottoirs inaccessibles… Il suffit de lever le regard pour saisir les fissures et les balcons menaçants. L’un d’entre eux s’est même écroulé le jour de la première marche blanche post-effondrements, propageant l’inquiétude dans la foule déjà bouleversée. Si en juin 2020, certains arrêtés de péril font l’objet d’une main levée – suggérant que certains immeubles ont été réhabilités ou carrément détruits – nombreux sont les périls qui demeurent imminents. Les étais en métal posés en urgence par les services techniques municipaux pour pallier la fragilité des constructions en attestent, tout comme l’étayage en bois des encadrements de fenêtre, les murs barricadés de grillages et encerclés de bordures de voirie en béton.

7A. Boulevard de la Libération, dans le prolongement de la canebière. Un nouvel arrêté de péril est tombé pendant la pandémie de coronavirus. Les fenêtres de l’immeuble menaçant sont « ornées » d’étais en bois. – Marseille, juillet 2020 ; 7B. Près de la gare St Charles, la rue Bernard du Bois est fermée depuis près d’un an et demi. Derrière les grillages, les plantes poussent dans les fissures des immeubles, les déchets s’amoncellent sur le sol. – Marseille, juillet 2020

Avec le temps qui passe, on aurait imaginé voir le problème se résorber progressivement, mais il n’en n’est pas ainsi comme en témoignent ces quelques lignes sur la page Facebook d’Éric Mery avocat et militant du collectif de citoyens Madmars, élu des 6ème et 8ème arrondissements de Marseille le 28 juin 2020 : « Cet après-midi, un morceau de balcon s’est effondré au 39bis rue Sainte. L’immeuble est celui de la Direction des Affaires Juridiques et des Marchés Publics de la ville de Marseille. Comme un symbole, et comme un rappel surtout » (Éric Mery, 25 juin 2020).

Depuis novembre 2018, la liste des personnes évacuées de leur logement du fait de la menace d’un « péril imminent » n’a cessé de s’allonger (liste consultable sur le site de la ville de Marseille). Le cinéaste Alain Barlatier11 rappelait à juste titre, qu’avec ses 4 000 personnes délogées en 2020, la ville de Marseille connaît un déplacement de population inédit depuis la Seconde guerre mondiale. En février de cette année, les zones concernées par les évacuations se sont élargies comme l’indique la cartographie élaborée par une équipe de géographes : « hypercentre ville ancien, d’abord, (Noailles, Belsunce, Panier, Joliette), puis glissements péri-centraux (Belle de mai, Versailles) » (Dorier, 2020). La géographe Elisabeth Dorier s’interroge sur la possible instrumentalisation des mises en péril pour laisser le champ libre au gros chantiers d’aménagement urbain « Euromed » : « on constate que certains nouveaux espaces concernés, principalement à partir de l’été 2019, correspondant à des zones de chantiers de rénovation en cours, comme si l’arrêté de péril imminent et l’évacuation en urgence des habitants devenaient des outils parmi d’autres  pour sécuriser des opérations d’aménagement » (Dorier, 2020).

Pour les psychologues qui accompagnent les personnes délogées, comme Evelyne Bachoc, le traumatisme provoqué par la perte de son chez soi et l’incertitude sur l’avenir requiert de mettre en place un « étayage » (Hubinet, Bachoc et Bordet, 2020) La difficulté, comme l’affirme lors d’un entretien Melissa, une habitante délogée, est en effet de « se réconcilier avec la ville et avec son appartement ». Ce ne sont plus seulement les murs qui ont besoin de soutien, mais les humains. Souvent abîmés, voir effondrés, les corps et les esprits affectés par la situation dramatique de l’habitat indigne doivent eux aussi se reconstruire. Selon Melissa, « on ne mesure pas les répercussions que ça a sur la vie des gens évacués […et] les gens n’ont pas conscience que c’est sacrément traumatisant de perdre sa maison ». Si, comme d’autres délogé·e·s, elle affirme que ce traumatisme « ne sera jamais réparé », une équipe mobile est mise en place par Médecins du Monde à partir de janvier 2019 pour soutenir et étayer ces « vies suspendues ». C’est le terme utilisé dans un article du Quotidien du médecin dédié à la prise en charge psychologique déployée depuis plusieurs mois et coordonnée par le Dr Flavie Derynck (Foxonet, 2019). Moins d’un an après le drame, la « file active » est constituée de 500 personnes, un chiffre qui éclaire sur les conséquences en termes de santé mentale et d’enjeux médico-psychologiques de cette crise12. On comprend mieux pourquoi les termes de « psychose » ou d’« hystérie » collectives, employés par certain·e·s pour décrire les angoisses liées à l’habiter – comme le fit un employé de l’agence immobilière gérant l’immeuble de l’une d’entre nous alors qu’il était envoyé quelques jours après les effondrements pour « faire le point » sur l’état du bâtiment –, constituent en réalité une manière de disqualifier le véritable traumatisme provoqué par le 5 novembre 2018 et le phénomène des évacuations massives qui s’en est suivi.

8. Affichage libre sur la place Homère, en plein cœur de Noailles. Un·e habitant·e témoigne de ses insomnies et accuse la mairie. – Marseille, décembre 2019

Épilogue : Non, ce n’était pas la pluie

9. Affiche placardée sur différents murs de la ville depuis le 5 novembre 2018 – Marseille, mars 2019

La pluie est parfois un personnage de roman comme dans celui de Rachid Boudjedra, La pluie, qui raconte six nuits successives de pluie et de pleurs, où les mots tombent comme des gouttes, de sang, de boue, de sueur. À l’approche du premier anniversaire des effondrements, la pluie revenait dans maintes discussions. C’est au cours d’une de nos balades photographiques, en regardant les œuvres d’artistes touché·e·s par les évacuations, rue de l’Arc, qu’un promeneur nous a raconté que « les gens du quartier » redoutaient les pluies fortes qui avaient commencé à tomber à partir du 20 octobre : « ça me rappelle quand, après les attentats à Paris, je me suis retrouvé en Norvège dans un aéroport. Il y a eu un grand bruit et les autres m’ont calmé car j’avais eu peur. Eux ils ne comprenaient pas ». Si l’analogie avec les attentats indique l’intensité de l’expérience vécue, ce témoignage montre combien la  pluie peut faire rappel, devenant à cette période de l’année un signe de danger potentiel.

L’effondrement des deux immeubles de la rue d’Aubagne a en effet eu lieu après un épisode de « pluies intenses ». Le fait que le maire de la ville, Jean-Claude Gaudin ait dans un premier temps lié le drame à ces fortes pluies a suscité de très vives réactions dénonçant une manière de fuir ses responsabilités13. Les banderoles affichant comme slogan « ce n’est pas la pluie » dans les marches blanches et les manifestations en témoignent tout comme la page Facebook du « collectif contre la pluie ». La pluie n’en n’est pas moins un acteur de l’événement, ambivalent, difficile à convoquer, un « poison ordinaire » suscitant de l’inquiétude et une des traces laissées par l’événement dans nos mémoires sensorielles. Les discours sur la pluie viennent témoigner de ces enchevêtrements non pas de causes, mais d’acteurs, humains et non humains dont la collusion fit catastrophe.

MIKAELA LE MEUR, SANDRINE MUSSO ET MAUD SAINT-LARY

Mikaëla Le Meur est docteure en anthropologie, co-fondatrice du carnet de recherche « Après l’effondrement ». Actuellement enseignante en sociologie et en science politique à Aix-Marseille Université, ses recherches au Vietnam et en France portent notamment sur l’écologie, la ville et la matérialité du politique. Elle a expérimenté différentes formes d’écriture des sciences sociales (documentaires audiovisuels et sonores, photographies, expositions).

Sandrine Musso est enseignante chercheure au département d’anthropologie d’Aix-Marseille Université et membre du Centre Norbert Elias. Ses travaux de recherche se situent à l’interface de l’anthropologie politique de la santé (ils ont particulièrement concerné le sida), de l’anthropologie des migrations et de l’anthropologie des affects et des émotions. Co-fondatrice du carnet de recherche « Après l’effondrement », elle s’intéresse aussi à l’écriture sonore et à d’autres écritures des sciences sociales.

Maud Saint-Lary est chargée de recherche à l’IRD, affiliée à l’Institut des Mondes africains. Ses recherches se situent au croisement de l’anthropologie politique et de l’anthropologie de l’islam et portent sur les processus de réislamisation en Afrique subsaharienne, en particulier au Burkina Faso. Membre fondatrice du Laboratoire de Sciences Sociales Appliquées, elle a menée des recherches-action à Marseille. Elle est co-fondatrice du carnet de recherche « Après l’effondrement ».

Couverture : Sur un mur du quartier de Belsunce, voisin de Noailles, la date du 5.11.2018 est reproduite au pochoir entre slogans et affiches. – Marseille, avril 2019.

Bibliographie

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Bensa, A. et Fassin, E., 2002, « Les sciences sociales face à l’événement », Terrain, n° 38, 5-20, en ligne.

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Bourdin, A., 2008, « Gentrification : un « concept » à déconstruire », Espaces et sociétés, vol. 132-133, n°1, -23-37, en ligne.

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Devereux, G., 2012 [1967], De l’angoisse à la méthode dans les sciences du comportement, Paris, Flammarion, 474 p.

Favret-Saada, J., 2009, Désorceler, Paris, Éditions de l’Olivier, 176 p.

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Gilles, B., 2018, « Christian Nicol : “En matière d’habitat indigne, l’État et la Ville ne font pas leur boulot” », Marsactu, 7 novembre 2018, en ligne.

Hubinet, N., Bachoc E. et Bordet, I., 2020, « Comment vivre quand la ville s’effondre : un an après le drame de la rue d’Aubagne, quelle prise en charge psychologique pour les délogés de Marseille ? », Le Journal des psychologues, 2020/1, n° 373, 7-9

Langumier J. et Revet S., « Une ethnographie des catastrophes est-elle possible? Coulées de boue et inondations au Venezuela et en France », Cahiers d’anthropologie sociale, 2011/1, n° 7, 77-90, en ligne.

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Leroux L., 2020, « Après l’effondrement de deux immeubles en plein cœur de Marseille, une expertise judiciaire souligne des « manquements majeurs » », Le Monde, 3 juillet 2020, en ligne.

Nossiter A., 2018, « As Slums Teeter in Marseille, a Poverty Crisis Turns Deadly”, New-York Times, 19 novembre 2018, en ligne.

Pétonnet C., 1982, « L’observation flottante. L’exemple d’un cimetière parisien », L’Homme, Tome 22, n°4, 37-47, en ligne

Schulman S., 2018, La gentrification des esprits, Paris, B42, 168 p.

Servigne P. et Raphaël S., 2015, Comment tout peut s’effondrer. Petit manuel de collapsologie à l’usage des générations présentes, Paris, Seuil, 304 p.

Tsing A. L., 2017. Le champignon de la fin du monde, Sur les possibilités de vivre dans les ruines du capitalisme, Paris, La Découverte, 416 p.

Wallace R., 1988, “A synergism of plagues: “Planned Shrinkage,” Contagious housing destruction, and Aids in the Bronx”, Environnemental research, 47, 1-33.

Zitouni B. et Thoreau F., 2018, « Contre l’effondrement : agir pour des milieux vivaces », L’entonnoir, en ligne.

Sitographie

Après l’effondrement – Habiter Marseille après le 5 novembre

Collectif du 5 novembre : consulté en novembre 2020

Conversation de mon quartier et d’ailleurs, Barlatier A. : consulté en novembre 2020

Ville de Marseille : consulté en novembre 2020

Page Facebook, Eric Mery : consultée le 25 juin 2020

Page Facebook, Britney Hammerson / Collectif du 5 juillet – Touristes en colère : consulté le 24 novembre 2020

Documentaire de Rabia del Pueblo

Pour citer cet article : Le Meur M., Musso S. et Saint-Lary M., 2021, « Habiter la ville effondrée : Marseille après le 5 novembre 2018 », Urbanités, #15 / Mourir en ville, juin 2021, en ligne.

  1. En référence au quartier historique de Marseille appelé le « domaine ventre », lieu de concentration des activités artisanales et commerciales. Dans ce quartier, les nombreux entrepôts et ateliers bénéficiaient de porches et de cours intérieures accessibles aux véhicules par des voies d’accès depuis les rues d’Aubagne, de la Palud et Moustier. []
  2. Cette figure est centrale dans toute la littérature sur l’Anthropocène et la critique écologique d’un système-monde dominé par le capitalisme. L’effondrement fait également partie de l’imaginaire survivaliste, projetant une vie dans les ruines (Tsing, 2017). []
  3. Nous avons tenté de recenser les collectifs et associations investies dans l’après 5 novembre sur notre blog. La liste est non exhaustive et répertorie des acteurs nationaux traditionnels de la lutte contre le mal-logement (Emmaüs, Fondation Abbé Pierre…), des associations marseillaises (Un Centre-Ville pour Tous, Destination Familles…) et des collectifs nés à la suite du drame : « Collectif du 5 novembre – Noailles en colère », « Marseille en colère » etc. Nous reviendrons par la suite sur leurs actions. []
  4. La question de l’habitat insalubre à Marseille a fait l’objet de travaux sociologiques parmi lesquels on peut citer la thèse de Florence Bouillon (2009) qui montre comment les squats marseillais sont le « produit du mal logement » mais aussi le travail de Johanna Lees sur les « copropriétés dégradées » à Marseille (2014). Pour une synthèse actualisée, on se reportera utilement à Baby Colin, Bonafede et Dahdah, 2020. []
  5. Accompagnement qui se poursuit toujours en novembre 2020, alors qu’un chiffre de 5 000 délogé·e·s est aujourd’hui avancé. Il est décrit par Dominique, une militante du Collectif du 5 novembre dans un podcast réalisé à l’occasion des deux ans des effondrements. []
  6. À l’heure où nous écrivons cet article le mandat de Jean-Claude Gaudin vient de se terminer après 25 ans, laissant la place au printemps marseillais, une liste d’union de la gauche et de mouvements citoyens. []
  7. Le terme d’incurie a été employé très rapidement après le drame. Une lettre ouverte d’un collectif de citoyens et de personnalités publiques adressée le 22 novembre 2018 au Ministre du logement, Julien Denormandie, dénonçait « l’incurie » de la mairie de Marseille. []
  8. Pour les plus marquants, on peut noter qu’en mai 2015 le « rapport Nicol » décrivait déjà la situation alarmante du parc privé à Marseille : Christian Nicol, La requalification du parc immobilier à Marseille, 2015-05, 49 p. (Gilles, 7 novembre 2018). En juillet 2020, un rapport publié parFabrice Mazaud et Henri de Lépinay, experts de la cour d’appel de Paris, dresse « un cinglant réquisitoire contre l’inaction de multiples acteurs » (Leroux, 3 juillet 2020). []
  9. CNRTL []
  10. De nombreux travaux traitent de la variété des liens entre habitat et santé, mais ici, et pour légitimer l’usage du terme d’« épidémie » nous renverrons aux approches en termes d’écologie urbaine (Wallace, 1988), ou aux liens identifiés entre épidémie et gentrification (Schulman, 2018). La presse locale a aussi fait usage du terme d’épidémie pour les arrêtés de péril. []
  11. Auteur d’un documentaire intitulé « Après l’effondrement. Récit d’un soulèvement citoyen », Alain Barlatier n’a cessé, depuis novembre 2018, d’enrichir son blog de photos, de récits et de rencontres sur le thème de l’habitat insalubre à Marseille. []
  12. Les conséquences sanitaires des effondrements vont d’ailleurs bien au-delà de la santé psychique : des ruptures de traitements dans le cadre de la prise en charge de maladies somatiques chroniques (comme le diabète), des prises de poids consécutives à l’impossibilité de faire la cuisine à l’hôtel sont, à titre d’exemple, évoqués par les personnes délogées en souffrance. Paradoxalement, le fait de quitter un habitat dégradé peut aussi avoir des effets positifs sur la santé, comme celui de respirer mieux, quand les affections respiratoires sont les conséquences directes de l’insalubrité du logement sur la santé. []
  13. En témoigne le clip « La pluie », produit par Dekadrage/primitivi en « hommage aux victimes des effondrements des immeubles de la rue d’Aubagne », en ligne. []

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